Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/147

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et aux luttes de la politique. Il faut se réfugier jusque dans ces petites républiques chrétiennes, chez les moraves, chez les quakers, il faut relire l’histoire de la Nouvelle-Angleterre pour rencontrer des sociétés croyantes et pieuses que d’heureuses circonstances aient retenues loin des maux et des abus auxquels tout contact avec la politique expose la religion ou ce qui la représente ici-bas. S’il fallait chercher l’exemple le plus pur et le plus édifiant de l’association volontaire et de la libre discipline que la foi chrétienne peut produire dans une communauté politique, peut-être les yeux devraient-ils se porter sur ce petit état de Rhode-Island où Roger Williams fonda en 1636 la ville de Providence, pour devenir l’asile de la vraie piété, de celle qui veut la liberté pour elle et qui la souffre pour les autres. La foi, la ferveur, l’enthousiasme, même le rigorisme, enfin une certaine nuance de fanatisme, n’étaient pas des choses absentes de cet heureux coin du monde. Les plus sévères doctrines calvinistes et puritaines y dominaient les esprits, mais elles faussaient le jugement sans envenimer les cœurs, et la crainte de Dieu n’engendrait point la haine des hommes. Si l’on était curieux de bien connaître quelle vie morale et spirituelle, quelle exaltation sensée, quelle austérité sans rudesse, quel mélange d’indépendance et de contrainte, d’élévation et de simplicité, quel état de l’âme enfin orthodoxe et libre, sereine et passionnée, le christianisme, rajeuni sur un sol encore vierge, a pu produire au bord de l’Atlantique, un livre existe qui vous apprendra toutes ces choses, jugées par un ferme esprit, vivifiées par une puissante imagination, livre qui s’écarte étrangement, pour le fond des idées comme pour les moyens d’effet, des compositions de nos romanciers européens, et qui cependant ne se laisse effacer par aucune pour l’intérêt pénétrant, la vérité dramatique, pour le charme et l’émotion. Dans la Fiancée du ministre, Mme Beecher Stowe a donné à la littérature universelle une œuvre qu’elle seule pouvait écrire peut-être, et que tout le génie du vieux monde n’aurait pas inventée.

Mais pourquoi chercher nos exemples dans le royaume des fictions ? Ne lisons-nous pas dans la loi écrite d’une société réelle, dans la constitution des États-Unis, l’article suivant : « le congrès ne fera aucune loi par rapport à un établissement de religion ou pour gêner le libre exercice d’aucune ? » C’est là peut-être la loi la plus religieuse qui ait été jamais rendue. On nous dira que nous ne sommes pas en Amérique, et l’on nous rappellera dans quel milieu nous écrivons. Nous ne l’oublions pas, et l’on se tromperait fort si parce que nous avons insisté sur le mauvais côté d’une grande organisation religieuse, on croyait que nous n’en voyons que le mal, et que nous venons, la dénonçant à l’animadversion publique,