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À l’aide d’une petite flèche empoisonnée, j’ai fait sur le dos d’un lapin une piqûre si peu douloureuse qu’il n’en a pas pour cela interrompu son repas ; mais après deux ou trois minutes l’animal a cessé de manger et est allé se placer dans un coin du laboratoire : il s’est tapi contre le mur et a baissé ses oreilles sur son dos, comme s’il eût voulu dormir. Puis il est resté parfaitement tranquille et peu à peu s’est affaissé ; ses jambes ont d’abord cédé en même temps que la tête a fléchi ; enfin il est tombé sur le flanc complètement paralysé. Après six minutes, à partir du moment de la piqûre, l’animal était mort, c’est-à-dire que la respiration avait cessé.

Un jeune chien piqué à la cuisse avec un instrument empoisonné s’aperçut à peine de sa blessure ; il courait et sautait comme de coutume, mais au bout de trois ou quatre minutes l’animal se coucha sur le ventre comme s’il eût été fatigué ; il avait conservé toute son intelligence, et ne semblait nullement souffrir ; seulement il répugnait au mouvement. Bientôt le chien posa sa tête par terre entre ses deux jambes de devant, comme s’il eût été encore plus fatigué et qu’il eût voulu s’endormir. Cependant ses yeux restaient toujours ouverts et tranquilles en même temps que son corps s’affaissait sur lui-même ; l’animal était alors complètement paralysé. Bientôt les yeux devinrent ternes, les mouvemens respiratoires cessèrent, et l’animal était mort huit minutes après la piqûre empoisonnée.

Les grenouilles, les crapauds et les couleuvres meurent avec des symptômes semblables. Les animaux ne manifestent aucune agitation ni aucune expression de douleur. Ils sont pris d’une paralysie progressive qui éteint successivement toutes les fonctions vitales. C’est là le caractère particulier de la mort par le curare. Dans tous les genres de mort que l’on connaît, il y a toujours vers l’agonie des convulsions, des cris ou des râles indiquant une souffrance et une sorte de lutte entre la vie et la mort. Dans la mort par le curare, rien de pareil ; il n’y a pas d’agonie, la vie paraît s’éteindre. Tous les voyageurs qui ont vu périr des animaux par le curare décrivent la mort avec des symptômes pareils à ceux que nous venons d’indiquer. « La mort arrive, dit M. Carrey, comme si un fluide vital s’écoulait. » Waterton, qui nous a donné le plus de détails sur les effets du curare, raconte que lorsqu’un oiseau est blessé à la chasse par une flèche empoisonnée, il reste environ trois minutes avant de tomber, mais que sa chute n’est précédée par aucun signe de douleur, qu’il y a seulement une sorte de stupeur qui se manifeste par une répugnance apparente au mouvement. « Ayant empoisonné, dit-il, une jeune poule pleine de vie au moyen d’une piqûre faite à la cuisse avec une flèche empoisonnée, la poule n’en