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le cabinet britannique n’a jamais jugé utile ou opportun, pas même pendant les années si agitées de 1861-62, de rappeler à la Russie les engagemens du comte Orlov, les déclarations que l’Angleterre elle-même avait alors provoquées. Seule, la France se souvint, dans une occasion unique il est vrai, des promesses faites par le plénipotentiaire russe au congrès de Paris : au sortir de l’entrevue de Stuttgart (1857), Alexandre II dit à son entourage, et d’un ton à la fois étonné et blessé, ces paroles significatives, qui furent bientôt connues au dehors : « On a osé me parler Pologne[1] ! »

Les événemens n’en devaient pas moins suivre la pente qu’ils avaient prise pendant le congrès de Paris, et révéler de plus en plus un rapprochement graduel entre la France et la Russie. Un moment il avait paru cependant que l’ancien faisceau allait être renoué ou maintenu, alors qu’on apprit qu’une triple alliance venait d’être signée entre la France, l’Angleterre et l’Autriche (15 avril 1856), afin de veiller au nouvel ordre de choses en Orient et d’empêcher que le traité du 30 mars, imposé à la Russie, ne reçût quelque atteinte ; mais bientôt, dans les arrangemens successifs des diverses difficultés que fit surgir l’exécution de quelques-unes des clauses de ce traité du 30 mars (Bolgrad, Ile-des-Serpens, navigation du Danube, etc.), on vit les argumens ou les interprétations du plénipotentiaire russe appuyés presque constamment par le plénipotentiaire de la France. Dans les différentes et nombreuses conférences et commissions qui se suivirent en ces années 1856-59 pour le règlement des questions pendantes, la distribution des voix fut presque invariablement celle-ci : l’Angleterre et l’Autriche d’un côté, et de l’autre la France et la Russie, appuyées d’ordinaire par la Prusse, qui ne séparait guère ses intérêts de ceux de son alliée du nord dans les relations extérieures. Ce qui fut plus grave et fut surtout remarqué, c’est que cette concordance de vues entre les cabinets des Tuileries et de Saint-Pétersbourg se manifestait principalement sur ce terrain même d’Orient encore chaud des boulets de la guerre, sur ce terrain d’où la Russie avait du d’abord, dans la pensée des alliés de 1853, être complètement exclue, et où elle reprenait maintenant influence et racines, modestement, il est vrai, et sous l’ombre

  1. On lit dans l’Exposé de la situation de l’empire, page 108 : « Dès 1857, sa majesté (Napoléon III), désirant mettre à profit, dans un intérêt d’ordre et de paix, la confiance qui unissait si heureusement les deux cabinets (de France et de Russie), s’était sentie portée, par la sincérité même de son estime et de son amitié pour l’empereur Alexandre, à recommander l’état de la Pologne à la sollicitude de la cour de Russie. Ce langage était digne d’être compris par le souverain qui allait donner, en émancipant les serfs, un témoignage éclatant de sa sagesse. Les faits n’ont que trop montré depuis l’opportunité de ces suggestions, et ils témoignent chaque jour combien on doit regretter qu’elles n’aient pas été écoutées.