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le type et dans les manières en Italie qu’en France. Il conclut que la fortune de l’art italien tient à des causes profondes et à la supériorité même du génie de l’Italie, et il ajoute qu’on ne doit pas oublier que cette Italie qui produisait la renaissance des arts présidait en même temps à la renaissance des lettres et de la pensée philosophique, à ce grand éveil, en un mot, qui, trop tôt contrarié chez nous, replaçait l’humanité dans la voie des grandes choses, dont l’ignorance et l’abaissement des esprits l’avaient écartée.

Sans nier l’influence des circonstances alléguées, je pense qu’elles sont secondaires, et qu’il faut s’élever plus haut pour ne rien introduire dans cette grande question qui implique contradiction. En effet, si ce sont là les circonstances qui ont développé l’art et les lettres en Italie, quelles sont donc celles qui plus de deux siècles auparavant ont développé l’art et les lettres en France ? Et si l’ignorance et l’abaissement des esprits avaient écarté l’humanité de la voie des grandes choses dans laquelle l’Italie l’a replacée, à quoi bon parler du grand éclat qu’eurent l’art et les lettres en France pendant les XIe, XIIe et XIIIe siècles ? L’histoire ne permet pas de dire qu’on y soit rentré par l’Italie au XIVe siècle ; on y était rentré bien auparavant par la France dès le XIe siècle.

Il faut noter ici, en préliminaire, que toute discussion sur la marche et le développement de l’art est très ardue, parce que l’art ne porte pas, comme la science, la marque évidente d’un accroissement successif. La contradiction avec l’histoire que j’ai signalée plus haut à l’égard de la France reparaît sous une autre forme à l’égard de l’art du moyen âge en général. M. Renan dit que l’art du moyen âge tomba par des défauts essentiels, n’ayant pas su s’élever à la perfection de la forme, que la renaissance n’est pas coupable de l’avoir étouffé, qu’il était mort avant qu’elle commençât à poindre, et mort faute d’un principe suffisant pour l’amener à un entier succès. Soit ; mais à quoi attribuerons-nous la mort de l’art antique, de l’art grec, mort qui ne fut pas moins complète que celle de l’art du moyen âge ? Dès le IVe siècle de l’ère vulgaire, avant la chute de l’empire romain, les beaux-arts, les belles-lettres étaient dans une pleine décadence et ne produisaient plus rien qui eût vie, souffle, imagination. La beauté antique succomba comme fit plus tard la beauté féodale, et cependant personne ne nie, sauf peut-être de fanatiques admirateurs du moyen âge, qu’elle n’eût un principe suffisant pour la porter à un entier succès, et qu’elle ne dût s’élever à la perfection de la forme.

L’art antique, pas plus que l’art du moyen âge, ne survécut au sentiment religieux et poétique qui les avait créés ; mais, dira-t-on, il y a eu renaissance pour l’un, et l’autre est demeuré enseveli. —