Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/494

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans trois pots identiques remplis de sable pur et arrosés d’eau pure. Le premier ne reçut pas d’engrais, mais on donna au second 8 centigrammes et au troisième 16 centigrammes d’azotate de potasse. Dès les premiers jours, les trois plantes accusaient la différence des traitemens auxquels on les avait soumises : la première languit et mourut, la deuxième se développa tout en restant chétive, mais la troisième était remarquable par sa bonne santé. À la maturité, la deuxième avait emprunté au sol 4 centigrammes d’azotate de potasse et la troisième, 8. Mais ce qu’il y eut surtout de remarquable, c’est que pendant sa vie la dernière décomposait deux fois plus d’acide carbonique que la deuxième. L’azote jouait ainsi ce rôle d’exciter les autres fonctions et de donner au sujet qui le reçoit ou d’enlever à celui qui en est privé la vitalité sans laquelle il n’agirait pas sur l’atmosphère.

Or, qu’on le remarque, une plante contient plus de la moitié de son poids de charbon et seulement quelques millièmes d’azote. À quoi donc sert dans la végétation cette substance qui lui est si nécessaire, bien qu’elle y soit introduite en si faible quantité ? M. Payen va nous l’apprendre. Suivant cet habile chimiste, tous les organes des végétaux commenceraient par une matière azotée analogue à la fibrine, à laquelle viendraient peu à peu s’ajouter les tissus cellulaires et fibreux qui, en la gonflant, produiraient la plante tout entière. Cette fibrine ne se détruit jamais, se retrouve dans tous ses organes, et serait ainsi le rudiment de toutes les parties de la plante, qui ne pourrait se développer sans elle, et par conséquent sans l’azote, qui en est la base essentielle. En résumé, les plantes sont composées de charbon, d’eau et d’hydrogène en excès ; elles contiennent en outre un quatrième corps simple, l’azote, qui s’y trouve en proportion très minime, mais dont la présence est essentielle à la vie. L’atmosphère fournit abondamment le charbon ; l’eau, c’est-à-dire l’oxygène et l’hydrogène, est donnée par les pluies ; l’azote est demandé au sol, et comme il y est rare, on l’y introduit sous la forme d’engrais : c’est la grande préoccupation de l’agriculteur, c’est la plus grosse, la plus inévitable et la plus productive de ses dépenses.


III

Malgré les connaissances sérieuses que nous possédons sur le sujet qui nous occupe, il est impossible cependant de ne pas constater en beaucoup de points l’insuffisance de nos informations. Ce qu’il y a de plus inexplicable au monde, ce qui doit le plus éveiller notre curiosité et solliciter nos recherches, c’est le grand fait physiologique dont j’ai raconté la découverte. Les chimistes ont admirablement étudié l’acide carbonique : ils connaissent toutes les propriétés qu’il possède ; ils peuvent prévoir toutes les réactions qu’il détermine ou qu’il éprouve dans toutes les conditions où il leur plaît de le placer ; ils n’ignorent aucune des circonstances qui lui donnent naissance