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le front de laquelle le sculpteur aurait eu l’idée intempestive de découper de fines guipures. Le respect seul qui est dû à la poésie ne devrait-il pas pourtant nous défendre d’en faire un usage banal ? La poésie n’entre pas partout : c’est le lyrisme ou la fantaisie qui l’appelle ; autrement, il est plus logique et plus naturel de parler en prose. Si jamais les défauts de l’école signalée ici ont apparu bien en relief, c’est à coup sûr dans la récente pièce de M. Du Boys. En dehors de quelques heureuses tirades, au milieu desquelles détonnent encore des vulgarités qui semblent d’ailleurs inévitables, l’auteur n’a point trouvé en général ce langage ferme et vibrant dont l’accent pénètre l’âme. M. Du Boys s’est heurté de face contre l’écueil ordinaire du genre, la prédication ennuyeuse et vieillotte. Pour disserter plus à l’aise, il a rejeté dans la coulisse la plupart des scènes mouvementées et dramatiques, et nous n’apprenons que par de purs développemens oratoires les événemens dont la mise en relief directe aurait pu relever l’action, lui donner des allures nerveuses et entraînantes. N’est-il pas permis de ne goûter qu’à demi cet échange d’adages et d’homélies, et de signaler l’excès de sagesse et de convenance comme la principale pierre d’achoppement de ce genre dramatique bourgeois adopté par quelques auteurs ?

Enfin, entre cette école classique du jour et celle dont M. Sardou est un des représentans se place une sorte de tiers système qui a pour marque de rejeter également et la sécheresse exagérée des novateurs du premier groupe et les hardiesses intempérantes de ceux du second. À l’Odéon, les Plumes de paon, de M. Leroy, sont un exemple de cette autre forme de littérature dramatique. Le mouvement et la vivacité n’y manquent point. On n’est plus ici dans un monde froid et abstrait ; la réalité revêt un aspect qui plaît et entraîne. On raisonne moins et on agit plus. En même temps que l’esprit pétille, le cœur se donne librement carrière. Sans afficher la prétention d’endoctriner magistralement le public, M. Leroy est entré au vif de certaines mœurs littéraires du jour et en a tracé un heureux tableau. À part quelques situations visiblement trop chargées, ainsi qu’il arrive souvent dans les comédies de ce genre preste et aisé, la pièce est spirituelle, bien conduite et ne languit pas. Des trois sortes de littérature dramatique qui viennent d’occuper un instant notre attention, cette dernière est certainement celle dont le relief et la vérité sont le plus sensibles à cette heure ; mais, il ne faut pas se le dissimuler, le genre indécis et tourmenté sur lequel nous avons insisté volontairement paraît apporter une grande opiniâtreté dans la recherche de sa forme et de son expression. Il est clair que, dans l’état où est aujourd’hui la scène française, le foyer principal de fermentation se trouve là : il s’agit seulement d’en faire jaillir une flamme vivace. Quant au théâtre aligné à l’aide de l’équerre et du compas, on ne risque rien, jusqu’à nouvel ordre, à douter de sa force vitale et de son avenir ; dans cette comédie solennelle, qui paraît être si sûre d’elle-même, et ne voir dans la nudité qu’un moyen de faire ressortir ses prétendues perfections esthétiques, il y a certes moins de promesses pour l’art due dans les élémens troubles et multiples de ce genre mixte qui n’en est encore, on l’a vu, qu’aux essais et aux tâtonnemens.


JULES GOURDAULT.


V. DE MARS.