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de columbiades, de pièces énormes fondues près de Richmond dans l’usine de Tredegar. Les fédéraux de leur côté ont placé en batterie des canons Rodman à âme lisse et des canons rayés de Parrott qui lancent des boulets de 150 et même de 200 kilogrammes, « occasionnant, dit l’amiral Dahlgren, des avaries sans précédons dans les annales des batailles. » Lorsque le général Gillmore menaça de bombarder Charleston si l’île Morris n’était pas évacuée, on tourna sa menace en dérision, et cependant dès le lendemain ses boulets et ses obus éclataient au milieu de la ville, à 9 et 10 kilomètres du point de départ. Depuis cette époque, la conquête de l’île Morris tout entière lui a permis d’avancer ses batteries de 2 kilomètres : aussi commande-t-il facilement tous les points de la rade, et la ville a dû être presque entièrement abandonnée par ses anciens habitans. Le New-Ironsides et les monitors embossés devant les forts de Charleston sont, comme les batteries de l’île Morris, armés de canons d’une très grande puissance. On a calculé que les trente-quatre canons, formant à la fin de 1863 l’effectif moyen de l’artillerie de mer des fédéraux dirigés contre Charleston, pouvaient lancer à la fois 4,000 kilogrammes de fer sur un seul point des murailles de Sumter : à ce taux, un bombardement de dix heures représente une dépense d’au moins 225 tonnes de boulets et de 25 tonnes de poudre. Déjà le petit monitor Weehawken avait donné, le 17 juin précédent, un exemple des ravages que peut accomplir la nouvelle artillerie. Attaqué, non loin de Savannah, par la frégate cuirassée Atlanta, que suivaient sur deux navires des centaines de spectateurs remplis d’espoir, le bateau fédéral n’eut besoin de tirer que cinq coups de canon pour mettre le vaisseau ennemi hors de combat et lui faire amener son pavillon. A 300 mètres de distance, trois des projectiles, du poids de plus de 200 kilogrammes, avaient traversé de part en part l’armure de l’Atlanta, composée de deux plaques de fer d’une épaisseur totale de 10 centimètres et d’un double bordage de près d’un demi-mètre en chêne et en bois de pin. On ne peut s’empêcher d’être saisi de frayeur à la pensée que le génie inventif de l’homme découvrira sans doute des engins de destruction bien plus terribles encore.

Jusqu’à la conquête définitive de l’île Morris, c’est vers la petite armée du général Gillmore que se dirigea surtout l’attention publique. Les troupes qui opéraient dans le Tennessee et sur les deux bords du Mississipi furent presque oubliées. Il est vrai qu’un calme relatif avait succédé aux grandes opérations militaires qui s’étaient terminées par la prise de Vicksburg. Aussitôt après cet événement, des milliers de soldats, ayant achevé leur temps de service, furent renvoyés dans les états du nord; les fièvres miasmatiques éclatèrent dans les camps et les transformèrent en de vastes hôpitaux ; le gé-