Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/630

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’adresse du cabinet de Berlin qui blâmait la convention du 8 février, le chef du foreign office envoyait à lord Napier, avec ordre de la lire au prince Gortchakov et de lui en laisser copie, une dépêche qui donnait corps aux réclamations que les gouvernemens de l’Europe pouvaient légalement adresser à la Russie. Au point de vue légal où l’on se plaçait, la dépêche n’avait qu’un seul tort, celui de faire porter uniquement les réclamations sur l’état du royaume, tort très grave à coup sûr, puisque le traité de Vienne autorisait parfaitement à étendre la protection de l’Europe à l’ensemble des provinces polonaises soumises au sceptre des tsars. A part cependant cette omission, sans doute très regrettable, le document anglais pourrait bien paraître un modèle de logique et de franchise. Le comte Russell y déplore l’insurrection qui vient d’éclater; il ne doute pas du succès définitif de la force militaire, « mais ce succès, s’il doit être obtenu par une série de combats sanglans, entraînera une grande effusion de sang, un sacrifice déplorable de vies et de ruines. En outre, les actes de violence et de destruction commis des deux côtés engendreront des haines et des ressentimens qui aigriront pour un long avenir les relations entre le gouvernement russe et la race polonaise. » Le grand argument de la Russie, l’argument tsarien et démocratique par excellence, qu’elle avait pour elle les « masses » en Pologne, est écarté d’un trait. Lord Russell y montre les propriétaires fonciers et les classes moyennes profondément désaffectionnés, « et si les paysans, ajoute-t-il, ne sont pas au même degré mécontens, ils donnent cependant peu d’appui et de force au gouvernement russe. » La mesure de la conscription n’est mentionnée que comme la dernière expression du malaise général engendré par le régime maintenu dans le pays depuis 1832. « Le royaume de Pologne, poursuivait la dépêche, a été constitué et annexé à l’empire russe par le traité de 1815, dont la Grande-Bretagne fut une des parties contractantes. Le désastreux état actuel des choses doit être attribué à ce fait, que la Pologne n’est pas dans la condition où les stipulations de ce traité voulaient qu’elle fût placée... Pourquoi sa majesté impériale ne mettrait-elle pas d’un coup fin à cette lutte sanglante en proclamant une amnistie immédiate et sans conditions, en déclarant en même temps son intention de replacer sans délai le royaume de Pologne en possession des privilèges politiques et civils qui lui furent octroyés par l’empereur Alexandre Ier en exécution des stipulations du traité de 1815?... »

Le comte Russell ne perdit pas un seul instant pour communiquer (2 mars) à la France sa dépêche à lord Napier, en ajoutant « que le gouvernement de sa majesté apprendrait avec plaisir que le gouvernement impérial a écrit dans le même sens à l’ambassa-