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entre les puissances alliées les délimitations territoriales de l’Europe, qu’il est curieux d’observer l’attitude prise par l’Autriche à l’endroit de la question polonaise. On ne saurait indiquer à ce propos rien de plus instructif ni même de plus surprenant que le mémorandum présenté le 2 novembre 1814 au congrès de Vienne par le prince de Metternich, et qui n’a été révélé que tout récemment, dans cette année même de 1863[1]. On y fit en effet l’importante déclaration qui suit :


« 1° Animée des principes les plus libéraux et les plus conformes à l’établissement d’un système d’équilibre en Europe, et opposée depuis 1772 à tous les projets de partage de la Pologne, l’Autriche est prête à consentir au rétablissement de ce royaume, libre et indépendant de toute influence étrangère, sur l’échelle de sa dimension avant le premier partage, en réservant aux puissances voisines le règlement des frontières respectives sur le principe d’une mutuelle convenance. 2° Admettant le peu de probabilité qu’un pareil projet puisse même être pris en considération par la cour de Russie, l’Autriche accéderait également au rétablissement de la Pologne libre et indépendante dans les dimensions de 1791, sauf la réserve énoncée dans la proposition première. L’Autriche se prêterait dans ce cas à reconnaître des agrandissemens que la Russie et la Prusse croiraient se réserver sur le nouveau royaume, et qui ne seraient pas incompatibles avec son existence comme corps politique indépendant... »


Ainsi en 1814, au fameux congrès de Vienne, l’Autriche demandait le rétablissement de la Pologne dans ses limites de 1772, ou, à ce défaut, dans celles de 1791, et se déclarait prête à céder la Galicie immédiatement et sans compensation, dans le cas où l’une ou l’autre des deux propositions serait agréée... C’est là à coup sûr un indice, un précédent de la plus haute gravité; c’est là aussi une réponse au moins plausible à tous ceux qui, en 1863, traitaient de pure chimère toute supposition que l’Autriche pourrait, dans un moment donné, prêter la main à une œuvre de réparation envers la grande victime de 1772. On sait du reste que, vers ce même temps, vers la fin de 1814, le prince de Metternich contribuait de toutes ses forces à la formation de cette triple et secrète alliance entre l’Angleterre, la France et l’Autriche, alliance qui fut signée en effet le 3 janvier 1815, et avait pour but de résister à l’avidité démesurée du tsar Alexandre et du roi Frédéric-Guillaume; une pareille combinaison ouvrait certes des perspectives inattendues

  1. Ce document, de la plus haute importance, ne fut publié pour la première fois qu’en mai 1863, parmi les papiers du gouvernement présentés à la chambre des communes : Correspondence relating to the negociations of the years 1814 and 1815 respecting Poland presented to the House of Commons by command of her majesty. Voyez p. 27, Inclosure 2. Mémorandum by prince Metternich.