Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/671

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core bien moins prétendre à l’honneur d’être une « solution. » Ce ne fut pas non plus la crainte de voir renfermer exclusivement le débat dans les limites du royaume seul qui inspira ici la politique et le langage du ministre français, car le traité de Vienne autorisait l’Europe à comprendre dans ses réclamations l’ensemble des possessions polonaises de la Russie : lord Palmerston l’avait déjà établi dès 1831 dans une dépêche souvent citée à lord Heytesbury, et il maintenait son dire dans cette année même de 1863. « Le traité de Vienne, déclarait-il dans la séance du parlement du 20 juillet, nous donne le droit de demander que certains arrangemens y consignés soient pris en faveur du royaume de Pologne et des provinces polonaises[1]. » Les répugnances manifestées par le gouvernement français pour un appel au grand pacte de 1815 provenaient, on s’en doute bien, de causes tout autrement intimes ; elles tenaient à des scrupules et à des sentimens assurément honorables, mais que la froide raison ne saurait cependant reconnaître sans réserve. Et de fait, puisque l’austère lord Russell lui-même n’éprouvait aucun scrupule à invoquer le traité de Vienne, malgré la brèche qu’il lui avait faite par sa note à M. Hudson, pourquoi la France aurait-elle eu à cet égard des pudeurs par trop virginales, en souvenir de la campagne d’Italie et de l’annexion de la Savoie ? La loi de 1815 est comme toute loi, même la plus respectable : le plus juste court le risque de pécher contre elle plus de sept fois sans cependant renoncer à ses avantages, et l’Autriche elle-même avait sous ce rapport la confiscation de la république de Cracovie à se reprocher. Quant à un ordre d’idées puisé dans des souvenirs pénibles, — depuis longtemps cependant effacés par des victoires, par des conquêtes glorieuses, — ce n’est pas certes à des hommes d’état qu’il convient de se renfermer dans le monde des souvenirs et de ne pas tenir compte de la réalité évidente. Or il est évident que, malgré toutes les légitimes douleurs qu’il rappelle, et malgré même toutes les graves atteintes qu’il a subies, le pacte de 1815 n’en constitue pas moins, et jusqu’à nouvel ordre, le droit international de l’Europe. On peut en signaler les inconvéniens, en demander la modification, faire même des vœux pour une transformation radicale et complète ; mais, dans les controverses de la diplomatie, il n’est point donné de le nier ou seulement de le vouloir ignorer, et la France elle-même, la France de notre temps, a dû pratiquer cette loi en plus d’une occasion mémorable. N’est-ce pas sur le traité de Vienne que se fondait en 1849 la dépêche célèbre de M. Bre-

  1. Il est caractéristique que le comte de Rechberg lui-même ne parlait jamais dans ses représentations à Saint-Pétersbourg du « royaume, » mais des « provinces polonaises soumises à la Russie. » Voyez entre autres sa dépêche au baron de Thun du 12 avril.