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de la dame ; il se sentait ardemment épris d’elle, et il lui dit : « Belle, je suis le comte de Flandre que vous querez, et je suis le plus riche sous le ciel : j’ai quatorze comtés à mon commandement ; Puisque vous m’avez ainsi cherché, si c’est votre plaisir, je vous prendrai pour femme. » La pucelle, qui de cela eut grande joie, le lui octroya, à condition qu’il fût tel qu’il se disait. Le comte lui dit : « Dame, ne soyez en nul doute que je ne sois le comte de Flandre. » Il était cependant très fâché que ses gens ne vinssent pas le trouver. Il demanda à la femme quel nom elle avait, comment se nommait son père, et quel royaume il avait. La dame lui répondit d’un air de mauvaise humeur que le nom qu’elle avait reçu en baptême était Hélius ; « mais, dit-elle, vous ne saurez point le nom de mon père tant que j’aie commandement de Dieu. N’insistez donc pas, car autrement ne peut être. » Alors, voyant que la pucelle doutait encore de sa qualité, le comte de Flandre mit son cor à sa bouche et se mit à corner très hautement pour avoir ses gens. Premièrement vint à lui le sire de Valenciennes, Gauthier de Saint-Omer, et beaucoup d’autres gens, et Henri de Valenciennes lui demanda s’il avait rien pris. « Oui, dit le comte de Flandre, le plus beau sanglier du monde, et aussi Dieu m’a fait présent de cette belle damoiselle que voyez ci, laquelle je veux prendre pour femme, puisqu’elle y consent. » Le comte de Valenciennes regarda la pucelle, qui était vêtue très honorablement et était montée sur un palefroi le plus beau qu’on pût voir. Cependant le comte de Valenciennes blâma fort le comte de Flandre, qui voulait prendre pour femme cette damoiselle, et lui dit : « Monseigneur, savez-vous ce qu’elle est ? C’est par aventure quelque jeune fille qui court le monde. Sire, vous pouvez bien la tenir à votre commandement tant qu’il vous plaira, puis vous lui donnerez congé, car un seigneur aussi puissant que vous ne doit rien faire que sagement. Maudit soit votre orgueil, car il n’y a pas encore longtemps que vous avez refusé la fille du noble roi de France. » Alors le comte de Flandre dit au comte de Valenciennes : « Parlez plus sagement ; mon cœur s’est attaché à la prendre pour femme, et n’en parlez plus, car je vous le défends. » Les hommes du comte de Flandre furent très fâchés de cette résolution.

De Noyon, Baudoin alla à Cambrai, emportant avec lui la tête du sanglier et emmenant la dame de la forêt, qu’il épousa. Il eut d’elle deux filles, Jeanne et Marguerite. Pendant quatorze ans que cette dame régna en Flandre avec Baudoin, elle fit beaucoup de méchancetés, et le pays souffrit beaucoup de maux dont Baudoin fut très blâmé. Cette dame allait volontiers à l’église, et elle entendait le service jusqu’au sacrement ; mais jamais elle n’attendait l’élévation, et elle quittait l’église auparavant, « ce qui faisait tenir beau-