Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/769

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est assignée. Ces grandes ruptures, quand on s’y est décidé, doivent s’accomplir plus rapidement. Ces deux années, avec les vicissitudes dont elles peuvent être remplies, vont entretenir, dans les esprits en lutte à propos de la question romaine, une excitation malsaine et dangereuse. On se résigne à un fait accompli; on ne se résigne point à un malheur annoncé à date fixe, et qu’on a toujours l’espoir de détourner tant que l’échéance n’a point sonné. Nous ne demandons pas mieux que de nous tromper; mais nous trouvons qu’il est peu prudent de se donner une maladie aiguë avec le dessein étrange de la faire durer deux ans.

Ceux qui ont le goût de rapporter les événemens politiques aux mouvemens des grandes races ont de quoi faire l’application de leurs innocentes théories. La race germanique vient d’avoir dans l’affaire des duchés son grand émoi et sa grande joie, et voilà que notre race latine, grâce à l’union plus étroite de la France et de l’Italie et à la solution de la question romaine, a maintenant une suffisante besogne. La race latine, en Europe, a un autre représentant : c’est l’Espagne, qui vient, elle aussi, de prendre une nouvelle attitude politique. Le faible ministère de M. Mon n’a pu traverser l’intervalle de deux sessions; il est mort du sentiment de son impuissance. Le maréchal O’Donnell, appelé par la reine, a décliné le pouvoir, et le duc de Valence a formé le nouveau cabinet. La rentrée de la reine Marie-Christine en Espagne a été indiquée comme le motif déterminant de la dernière révolution ministérielle; mais la chute du dernier cabinet a eu des causes plus sérieuses. Le ministre des finances de ce cabinet, M. Salaverria, par ses fausses mesures et par son obstination à méconnaître les droits des créanciers de l’Espagne, avait acquis sur les marchés européens une impopularité qui portait un grave préjudice au crédit espagnol : la situation financière était très critique à Madrid. Les autres membres du cabinet n’avaient ni assez de prestige, ni assez de force propre pour faire oublier les fautes de M. Salaverria. Comme les pouvoirs faibles, le ministère avait, pour simuler l’énergie, recours à l’arbitraire, sans rassurer ses amis et sans intimider ses adversaires. On était sur la pente d’une molle anarchie d’où l’on pouvait être tiré d’un jour à l’autre par un violent réveil. Il était nécessaire de raffermir les ressorts du pouvoir, et en effet le cabinet du général Narvaez, par le mérite des hommes qui le composent et par ses premiers actes, semble fait pour rendre une certaine vigueur à la vie constitutionnelle de l’Espagne. Le ministère de l’intérieur est aux mains de M. Gonzalez Bravo, un des plus éloquens orateurs de l’Espagne, et qui nous a toujours paru destiné, si un tel mouvement est possible dans ce pays, à vivifier les opinions conservatrices d’un souffle salutaire de libéralisme. Un des premiers actes de M. Gonzalez Bravo, et il est de bon augure, a été de remettre aux journaux de l’opposition les amendes dont le précédent cabinet les avait fait accabler. Les intérêts économiques et financiers sont très bien représentés par MM. Llorente et Barzanallana. M. Llorente, aujourd’hui ministre d’état, est le seul ministre des finances d’Espagne qui