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vires. Le pavillon turc ne reviendra plus réveiller et exciter sur la côte le fanatisme musulman. C’est principalement au chef de notre escadre, à l’amiral Bouët-Willaumez, que l’on doit la fin de cette intrigue turque qui a tenu quelque temps notre diplomatie en échec, et que la France, en présence de l’agitation de nos Arabes d’Algérie, avait des raisons pressantes de faire cesser.

Une noble et remarquable existence, celle de M. le marquis Léon Costa de Beauregard, vient de se terminer prématurément en Savoie. M. Costa de Beauregard avait rempli une carrière politique qui ne permet point de laisser passer sa fin inaperçue. Il appartenait à une des familles les plus anciennes et les plus populaires de la Savoie : les lecteurs de Joseph de Maistre se souviennent de la mention fréquente qui est faite du nom de Costa dans sa correspondance et d’une sorte d’oraison funèbre éloquente qu’il consacra à un jeune membre de cette famille mort pendant les guerres de la révolution. Léon Costa de Beauregard avait été le serviteur et l’ami du roi Charles-Albert. Unissant à un esprit de tradition conservatrice une intelligence libérale, il avait donné une adhésion convaincue et chaleureuse à ce statut par lequel l’infortuné Charles-Albert commença l’émancipation de l’Italie. M. Costa de Beauregard fut le plus notable des représentans de la Savoie dans le parlement de Turin. Plus tard, les hardiesses de M. de Cavour lui parurent des témérités dangereuses : à mesure que les événemens se précipitaient, les dissentimens s’accrurent entre les deux anciens amis, et lorsque l’annexion des duchés italiens s’accomplit, M. Costa de Beauregard fat naturellement en Savoie le chef le plus autorisé et le plus désintéressé du mouvement de l’annexion de cette province à la France. Une place au sénat lui fut offerte; il la refusa par un sentiment de délicatesse élevée, ne voulant pas retirer un seul avantage personnel de l’influence qu’il avait exercée sur ses compatriotes pour les faire entrer dans la famille française. Jusqu’à la fin de sa vie, M. Costa de Beauregard a été l’homme dans lequel l’honnête et vieille Savoie a vu avec le plus d’orgueil la représentation de ses traditions et de ses sentimens. C’est que M. de Beauregard, résidant toujours dans son pays, mettait avec simplicité, avec bonhomie, avec générosité, au service de ses compatriotes l’emploi intelligent ou charitable d’une grande fortune et l’activité d’un esprit toujours attentif aux intérêts de la Savoie. Entre ce gentilhomme populaire et ses compatriotes, il se passait quelque chose qu’on ne retrouve plus en France et qui est pourtant un spectacle moral et attachant, quelque chose qui n’a d’équivalent que dans les rapports qui unissent certains lords anglais à la clientèle séculaire de leurs familles. Aussi la mort de M. Costa de Beauregard a-t-elle été un deuil public en Savoie. Toutes les classes et toutes les opinions s’étaient réunies pour lui rendre les derniers devoirs. Il fallait voir les ouvriers, les paysans se presser par milliers à son convoi. Les obsèques de cet homme de bien avaient réuni tout un peuple.


E. FORCADE.