Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/844

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qu’à la fermeté des soldats, « mon cousin, dit-il, je vous fais cette lettre pour vous dire que mon intention est que vous assistiez au Te Deum qui sera chanté dans la principale église de la ville où vous vous trouverez, que vous ordonniez aux officiers de justice et du corps de ladite ville d’y assister pareillement, que vous fassiez tirer le canon, faire des feux de joie, donner toutes les marques de réjouissance publique usitées en pareil cas, et que vous teniez la main à ce que cette cérémonie se fasse avec la même solennité dans toute l’étendue de votre commandement. Et sur ce je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte garde. »

Mais c’est à Paris surtout que l’enthousiasme fut sans bornes. Maurice y arriva le vendredi 11 mars, à cinq heures du soir, au milieu des acclamations d’une foule enivrée. Quand il se rendit le soir même à Versailles et que le roi, allant au-devant de lui, l’embrassa sur les deux joues, cette réception toute cordiale et en dehors des lois de l’étiquette était pour ainsi dire commandée par l’opinion publique. « Je vous fais mes complimens au nom de toute la nation, » avait dit le ministre de la guerre ; c’est au nom de toute la nation que Louis XV embrassait le vainqueur. Le 18 mars, Maurice alla passer la soirée à l’Opéra, où l’on jouait l’Armide de Quinault. Il y fut reçu comme un souverain. Le directeur du théâtre vint au-devant de lui, et, après l’avoir complimenté, « lui présenta le livre, honneur qu’il ne fait qu’au roi et aux princesses du sang. » Quand Maurice parut au balcon, accompagné de son état-major, ce fut une explosion de bravos frénétiques. Les prologues flatteurs de Quinault, écrits pour les victoires de Louis XIV, étaient détournés de leur signification primitive et appliqués à l’homme qui relevait nos drapeaux : la Gloire couronnait le modeste vainqueur de Bruxelles comme elle avait couronné l’orgueilleux monarque ; elle ajoutait même quelque chose de plus à la cérémonie, car ce n’était pas un simple couronnement en musique et en vers. À la fin du prologue, Mlle Maix, qui représentait le rôle de la Gloire, s’avança sur le bord du théâtre du côté de Maurice et lui tendit la couronne de lauriers. Surpris, il refuse « avec de grandes révérences ; » mais le duc de Biron, placé à sa droite plus près de la scène, prend la couronne des mains de l’actrice et la passe au bras du maréchal. Aussitôt retentissent de nouvelles salves d’applaudissemens : Vive le maréchal ! vive Maurice de Saxe ! « Il faut convenir, dit Barbier, qu’un honneur aussi éclatant vaut un triomphe des Romains. » La Gloire elle-même couronnant un général victorieux dans un spectacle public, devant la plus belle assemblée de l’Europe, aux applaudissemens de la France entière, que peut-on imaginer de plus flatteur ? L’annaliste ajoute que tout cela n’a pu se faire que par l’agrément et la permission du roi. Fausse conjecture, à mon