Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/952

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vrage est un essai de théodicée et non un traité du libre arbitre. Seulement l’un des problèmes essentiels de la théodicée est de savoir quelle est dans nos œuvres la part de notre volonté, et quelle la part de la cause suprême. Si Dieu est tout et fait tout, nous ne sommes que des instrumens de sa volonté, sans volonté qui nous soit propre. Si nous sommes une cause, Dieu n’est pas cause de tout. Ainsi, la question de la liberté humaine occupe autant de place dans le volume de M. Destrem que celle de la puissance de Dieu et de sa prescience. Pour la résoudre, il emploie ou croit employer la méthode infaillible des géomètres. Un invincible besoin de rigueur et d’affirmation est excité en lui par l’évidente stérilité des efforts de l’école critique. « Le véritable besoin des temps actuels, dit-il avec force, c’est le besoin d’affirmer, et l’on n’affirme pas en restant dans un ordre de considérations vagues, générales, indéterminées, ni en appelant au secours d’une logique défaillante ou nulle les ressources débiles de la sentimentalité pure. On n’affirme qu’en énonçant nettement, catégoriquement, en propositions formulées à la façon des théorèmes de mathématiques ou des dispositions d’un code, des principes et des séries de principes. »

Ce langage est un symptôme : il révèle un mouvement énergique de réaction contre l’abus de la critique négative et contre des spéculations plus poétiques que philosophiques, plus molles et énervantes que fortifiantes et vigoureuses; mais, comme ceux qui réagissent, M. Destrem tend peut-être à l’excès les ressorts de son intelligence. Poursuivant « une dogmatique des temps nouveaux selon des bases rationnelles, » craignant de ne pas serrer assez le tissu de son système, il l’enferme et le presse à outrance dans des cadres inflexibles. A l’inverse des partisans français du relatif et du devenir, qui, lorsque leurs mains rencontrent une vérité, la laissent fuir entre les doigts comme de l’eau, de peur de la fausser en la retenant et de la détruire en l’affirmant, dès que M. Destrem a saisi un fait, il le charge des plus pesantes chaînes qu’ait jamais forgées la logique. Il a même imaginé ce qu’il appelle le tableau logique ou le syllogisme polynôme, où il déduit, dans la colonne de gauche, les conséquences de l’hypothèse de la fatalité, dans la colonne de droite les conséquences du fait de liberté. Un pareil tableau n’est pas inutile, mais le mérite en est bien plus descriptif que mathématiquement démonstratif. La liberté est un fait presque continuel de notre vie morale. Or les faits gagnent peu, s’ils sont immédiatement connus, à être présentés sous forme de vérités déduites. Le moyen par excellence Ou plutôt l’unique moyen de les mettre hors de doute, c’est d’en appeler vivement au témoignage des sens pour les faits extérieurs, au témoignage de la conscience pour les actes de notre