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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/1003

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du Bouddha est issue par une évolution naturelle, et sans aucune influence extérieure, du pur esprit indien, et qu’elle est une conséquence spontanée du panthéisme.

On ne se fait généralement qu’une idée très incomplète du bouddhisme envisagé comme institution morale. Qu’y remarque-t-on le plus souvent ? Le grand développement d’un sacerdoce hiérarchisé et centralisé ; soit au nord dans le Tibet et la Chine, soit au midi dans les îles et dans la presqu’île au-delà du Gange ; un pouvoir spirituel analogue à celui du pape, et qui, après avoir été uni au pouvoir temporel, s’en est enfin séparé et nous montre aujourd’hui, par exemple dans le royaume de Siam, deux rois régnant simultanément dans la même capitale et exerçant sans conflit ces deux pouvoirs ; un culte dont les splendeurs surpassent souvent l’éclat des cérémonies catholiques ; une extension de la vie monastique qui laisse loin derrière elle les couvens de l’Espagne et de l’Italie ; enfin un nombre très grand de rites et d’usages qui rapprochent la religion du Bouddha de celle des chrétiens. Ce n’est là pourtant que l’extérieur des choses et ce qui peut attirer les regards du voyageur le moins attentif. La lecture des sûtras bouddhiques, la traduction de plusieurs d’entre eux, ont fait pénétrer les savans au fond même des doctrines, et nous dévoilent un enseignement moral que l’on peut dire égal à celui des chrétiens par son élévation, par sa pureté et par l’empire qu’il exerce dans tout l’Orient bouddhiste.

Nous insistons sur ce fait, désormais incontesté, parce que la connaissance du bouddhisme, considéré à ce point de vue, a donné les lois auxquelles obéit l’esprit religieux des peuples aryens, et aussi parce qu’elle rectifie l’une des théories les plus exclusives de nos moralistes européens, celle qui concerne la morale panthéiste. Exposée pour la première fois avec éclat dans le cours de Droit naturel de M, Jouffroy, cette théorie a été adoptée par l’école et s’enseigne partout en France aujourd’hui. Nous n’avons pas à la combattre ici, sur le terrain de la spéculation ; mais, rapprochée des faits nouveaux que l’étude de l’Orient nous apporte, elle en reçoit la contradiction la plus formelle à laquelle une doctrine à priori puisse être exposée, car de deux choses l’une : ou les peuples qui depuis vingt-trois siècles ont adopté à la fois les théories métaphysiques et les préceptes moraux du Bouddha ont commis la plus lourde inconséquence dans des pratiques où leurs actions de tous les jours sont intéressées, ou bien les doctrines panthéistes n’ont pas les conséquences que les théoriciens français ont cru devoir en tirer. Ce contraste d’un système que les philosophes croient fondé et d’un fait qui dure depuis si longtemps et embrasse de si nombreuses populations s’explique aux yeux des orientalistes par la connaissance trop incomplète du panthéisme qu’ont eue jusqu’ici les philosophes :