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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/1031

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de nouveaux mondes au monde qu’il habite et de nouvelles existences à son existence pour continuer la recherche de cet objet suprême dans lequel il doit rencontrer le bonheur vainement poursuivi ici-bas. M. Janet, après avoir disséqué successivement tous les biens qui sont au pouvoir de l’homme le plus favorisé, après avoir balancé leurs douceurs par leurs amertumes et les plaisirs qu’ils donnent par les souffrances qu’ils infligent, ne conclut pas autrement que l’instinct du genre humain. Nous arrivons enfin par un long détour à découvrir ce qui est l’objet véritable de l’âme, le complément de cette sécurité qui, selon nous, constitue, le bonheur, et que M. Janet déclare ne rencontrer dans aucun des biens qu’il présente néanmoins comme étant le lot de l’homme heureux par excellence.

Dans un petit livre moins complet et moins étudié que celui de M. Janet, et où l’ardeur du zèle chrétien compense la finesse psychologique, M. Agénor de Gasparin frappe cependant plus près du but et plus directement. Il abrège le voyage, sûr d’avance que, dans cette longue poursuite du bonheur, il ne trouverait rien qui vaille la peine de s’y arrêter, et mène tout droit l’homme vers son objet véritable, qu’il nomme sans hésiter de son nom traditionnel et chrétien, Dieu. Selon M. de Gasparin, le bonheur commence précisément là où M. Janet déclare qu’il finit. Le commencement du bonheur, c’est la conversion, c’est-à-dire le renoncement à tous les biens dont M. Janet a dressé la liste. La conversion, dans la théorie protestante de M. de Gasparin, tient exactement la place de cette indépendance de tous les biens que nous avons considérée comme la première condition du sentiment de sécurité dans lequel consiste le bonheur. Pour lui comme pour nous, ces biens sont des sources de souffrance et d’infortune, et l’homme qui n’est pas parvenu à s’en détacher vit dans cet état qui s’appelle le péché, et dont le caractère le plus déplorable est l’insécurité où il plonge celui qui s’y laisse aller. Il n’est en paix ni avec les personnes ni avec les choses, car il ne s’appartient pas ; mais comme un esclave qu’on vend ou qu’on échange sans demander sa permission, et qui passe d’un maître souriant et doux à un maître dur et morose, il passe de la domination du plaisir à celle du malheur, et de l’état de confiance crédule à l’état de désespoir. Sa sécurité ne commence réellement que lorsqu’il a découvert son objet véritable, qui est Dieu, et son bonheur ne commence que lorsqu’il a entrepris résolument de se mettre en harmonie avec sa loi souveraine.

Arrivé enfin à ce terme que rien ne peut dépasser, nous pouvons reprendre, compléter notre définition et dire : « Le bonheur est non un bien ou un assemblage de biens, mais un état de l’âme consistant