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Imbus de ces idées, ce n’est point sans une certaine appréhension que nous avons vu M. Charles Duveyrier revenir à de vieux erremens de langage et à des comparaisons avec le passé fondées sur de trompeuses analogies. C’est en vérité vouloir trop servilement copier le passé que de nous parler des luttes de la noblesse et du tiers-état, et de citer comme exemple de conduite applicable au présent et à l’avenir l’ancienne royauté française s’appuyant sur le tiers-état pour accroître son pouvoir aux dépens de la féodalité ; c’est être dupe d’une illusion de mots que de s’imaginer qu’entre les classes qui possèdent et celles qui ne possèdent point la position soit aujourd’hui ce qu’elle était autrefois entre la féodalité et les communes, et se prête à l’agrandissement et au patronage d’un pouvoir dynastique. La propriété moderne ne peut plus être la base d’un privilège social, puisqu’elle est ouverte à tous et essentiellement mobile ; la propriété moderne ne peut plus être la base d’un privilège politique, puisque nous vivons sous le régime du suffrage universel. La société, prise en masse ou dans une de ses parties, n’a rien à conquérir contre l’intérêt de la propriété, puisque cet intérêt peut être et est celui de tout le monde. Il n’y a plus chez nous de place pour les longs conflits auxquels donne lieu l’existence d’un droit partial et injuste. Les seuls conflits économiques et politiques qui peuvent se présenter désormais parmi nous sont ceux qui naissent de la loyale concurrence des intérêts, et des compétitions que la liberté engendre. De tels conflits n’appellent point, comme ceux d’autrefois, l’intervention longue et durable d’un pouvoir dynastique ; il suffit, pour les régler, de la médiation d’un pouvoir rationnellement organisé, c’est-à-dire d’un pouvoir qui, au lieu d’avoir la prétention de conduire la société, en soit la représentation fidèle et par conséquent souvent retrempée et renouvelée par l’élection.

Hâtons-nous de dire qu’en dépit d’un langage qui nous paraît incorrect et dangereux, parce qu’il emprunte au vocabulaire du passé des mots dont le sens est perdu, M. Ch. Duveyrier est loin de pousser à l’antagonisme des classes ; c’est au contraire leur conciliation qu’il demande au pouvoir. À ses yeux, les dynasties ne se fondent qu’à la condition de satisfaire les grands intérêts qui existent dans les pays qu’elles aspirent à gouverner. Comme M. de Persigny, mais avec plus de perspicacité, M. Duveyrier recherche à cet égard des enseignemens dans l’histoire d’Angleterre. On connaît trop le raisonnement singulier de M. de Persigny. Se fondant sur une histoire de la maison de Hanovre qu’il a arrangée à sa fantaisie et qui excite l’hilarité des Anglais, M. de Persigny nous dit : Que la dynastie soit admise et reconnue par tous, et alors, pas avant, je vous rendrai la liberté. Plus exact et plus sensé, M. Duveyrier voit l’histoire d’Angleterre telle qu’elle est. Il ne met point l’effet avant la cause. Étudiant avec sagacité l’histoire des fondateurs de la dynastie protestante en Angleterre, il voit et il montre que ces princes ont réussi dans leur œuvre parce qu’ils ont donné satisfaction