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comment l’usage de la fermeture a pu subsister si longtemps. La science s’ingéniait à percer les montagnes et les isthmes ; les gouvernemens s’appliquaient à supprimer ou à abaisser les barrières qui entravaient les communications internationales ; on avait même presque aboli les passeports. et pendant que s’accomplissaient toutes ces réformes, pendant que tout s’ouvrait, les places fortes s’obstinaient à rester closes. Il y avait là tout à la fois une anomalie et un anachronisme. On a donc sagement fait de réviser ces vieux règlemens, et il faut remercier l’auteur de l’écrit dont nous parlons, M. de Labry, de la polémique persévérante qu’il a engagée contre la fermeture des places fortes, et qui a provoqué une solution définitive.

Les études auxquelles s’est livré M. de Labry n’auraient plus aujourd’hui qu’un intérêt rétrospectif, si en même temps elles ne mettaient en lumière quelques traits assez curieux de notre administration municipale. Le ministère de la guerre, qui est évidemment le plus intéressé dans la question, n’hésitait pas à déclarer qu’en temps de paix il ne tenait pas le moins du monde à la fermeture des villes fortes. Les ministères de l’intérieur, des travaux publics et du commerce étaient également d’avis d’accorder la plus grande liberté de circulation. D’où pouvait donc venir l’opinion contraire ? C’étaient, il faut bien le dire, les municipalités qui opposaient une vive résistance à un changement de régime, et qui voulaient absolument que les portes demeurassent fermées.

L’autorité communale ne voyait là qu’une question de budget ; elle estimait que la clôture des villes facilitait la surveillance de l’octroi et la rendait moins coûteuse en économisant des frais de personnel, d’éclairage et de chauffage. Voilà les graves raisons pour lesquelles, même dans de grandes villes, la circulation était naguère encore arrêtée ou entravée pendant la nuit au détriment des intérêts les plus considérables. Comment blâmer des administrateurs qui se préoccupaient de l’équilibre de leur budget au point de s’imposer chaque nuit quelques heures d’arrêts forcés ? Mais, à ce point de vue même, leur calcul était très erroné. Ainsi à Metz l’ouverture permanente de quatre portes a été autorisée en 1861 après de vifs débats, et la première année il est entré et sorti plus de cent mille personnes et plus de seize mille voitures pendant les heures de nuit où précédemment la circulation était interrompue. L’augmentation des dépenses d’octroi ne doit-elle pas être couverte et au-delà par le supplément de recettes que procure nécessairement une activité plus grande dans la circulation des personnes et des denrées ? L’intérêt budgétaire de la commune n’est donc point compromis par le nouveau régime, qui a replacé les villes fortes en temps de paix dans les mêmes conditions que les autres villes, et qui a supprimé les embarras et les désagrémens de toute sorte auxquels donnait lieu l’exécution, même mitigée, des anciennes ordonnances. Le travail très complet de M. de Labry a hâté l’adoption de la réforme que nous signalons. Après avoir obtenu gain de cause en France, voici qu’il exerce son influence à l’étranger. Déjà plusieurs villes allemandes déclarent qu’elles ne veulent plus être closes la nuit, sous le prétexte qu’elles sont classées comme forteresses.


C. LAVOLLEE.


V. DE MARS.