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part, l’innovation pourrait se justifier. La Grèce, dans les questions du beau, a de vieux droits d’aînesse et de suprématie dès longtemps reconnus, et qui ont pris de nos jours, par d’éclatantes découvertes, un degré de plus d’évidence. Si donc on ne contrariait les traditions académiques qu’en imposant aux jeunes lauréats, dût leur stage romain en souffrir quelque peu, certain séjour en Grèce plus ou moins prolongé, si même on les laissait opter, vers la troisième année, entre la Grèce et l’Italie, nous ne songerions pas à nous plaindre ; mais ce n’est pas ainsi que l’entend, le décret : deux ans à Rome, et puis allez partout où bon vous semblera ; lancez-vous sur l’Europe, l’Asie, l’Afrique, l’Amérique ; allez, venez, courez, n’arrêtez nulle part ; étudiez ou n’étudiez pas ; cherchez le beau, le laid, contentez votre envie ; tout vous sera permis, car avant tout respect à vos instincts, à vos inclinations : ainsi le veut le grand principe de l’originalité personnelle !

Voilà donc un point hors de doute : les dispositions du décret qui limitent à quatre années le temps de la pension et à deux ans le séjour à Rome sont des causes certaines d’affaiblissement pour l’école, de véritables brèches qui la menacent d’une ruine assurée et dans un temps nécessairement prochain.

En faut-il dire autant de la limite d’âge fixée à vingt-cinq ans ? Notre avis sur ce point est moins affirmatif. N’est-ce pas en effet le signe à peu près constant, l’attribut presque nécessaire du véritable artiste, qu’une certaine précocité ? Des vocations tardives et néanmoins heureuses, on peut en citer dans les lettres ; en fut-il jamais dans les arts ? Dès lors pourquoi laisser une marge inutile au talent qui saura s’en passer ? N’est-ce pas donner à la médiocrité patiente des facilités regrettables ? Nous serions donc tenté de croire, avec le décret, qu’on s’expose à perdre peu de chose, qu’on ne dégoûte du service que de pauvres soldats en n’éternisant pas le droit de concourir jusqu’à cet âge de trente ans qui marque un grand pas dans la vie, surtout dans la vie d’artiste, et semble la limite extrême entre le temps des études, des essais, des tâtonnemens préparatoires, et l’époque de la moisson. Si vous n’entrez qu’à trente ans à l’école, vous risquez bien d’en sortir écolier. Et cependant nous admettons pourtant qu’à l’égard de l’architecture la complication des études motive une exception : c’est l’avis à peu près unanime des hommes compétens. Et même, quand on regarde à quel âge nos peintres les plus illustres, nos plus habiles sculpteurs, ont obtenu le prix, combien, tout en restant en-deçà des vingt-cinq années, ils en ont approché de près, on se demande si le moindre accident, la moindre maladie ne risquait pas de les mettre hors concours, de les décourager peut-être à tout jamais. Décourager les