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la tête à tout le sénat des Vénètes, vendre à la fois comme esclaves les quarante mille habitans de Genabum, couper le poing à tous ceux qui dans Uxellodunum avaient pris les armes contre lui. Et l’héroïque chef des Arvernes, ce Vercingétorix qui fut un adversaire si digne de lui, ne l’a-t-il pas tenu cinq ans entiers en prison, pour donner ensuite froidement l’ordre de l’égorger le jour de son triomphe ? Même à l’époque des guerres civiles, et quand il combattait ses concitoyens, il se fatigua de pardonner. Lorsqu’il vit que son système de clémence ne désarmait pas ses ennemis, il y renonça, et leur obstination, qui le surprit, finit par le rendre cruel. À mesure que la lutte se prolonge, elle prend des deux côtés des couleurs plus sombres. Entre les républicains exaspérés par leurs défaites et le vainqueur furieux de leur résistance, la guerre devient sans merci. Après Thapsus, César donne l’exemple des supplices, et son armée, s’inspirant de sa colère, égorge les vaincus sous ses yeux. Il avait déclaré, en partant pour sa dernière expédition d’Espagne, que sa clémence était à bout, et que tous ceux qui ne poseraient pas les armes seraient mis à mort. Aussi la bataille de Munda fut-elle terrible. Dion raconte que les deux armées s’attaquèrent avec une rage silencieuse, et qu’au lieu des chants guerriers qui retentissent d’ordinaire, on n’entendait par momens que ces mots : « Frappe et tue. » Le combat fini, le massacre commença. Le fils aîné de Pompée, qui était parvenu à s’enfuir, fut traqué dans les forêts pendant plusieurs jours et tué sans miséricorde, comme les chefs vendéens dans nos guerres du Bocage.

Le plus beau moment de la clémence de César, c’est Pharsale. il avait annoncé d’avance, lorsqu’il entra en Italie, qu’on ne verrait pas recommencer les proscriptions. « Je ne veux pas imiter Sylla, disait-il dans une lettre célèbre, et qui fut sans doute fort répandue. Inaugurons une nouvelle façon de vaincre, et cherchons notre sûreté dans la clémence et la douceur. » Il ne démentit pas d’abord ces belles paroles. Après la victoire, il donna l’ordre à ses soldats d’épargner leurs concitoyens, et sur le champ de bataille même il tendit la main à Brutus et à beaucoup d’autres. On a tort de penser toutefois qu’il y ait eu à ce moment une amnistie générale[1]. Au contraire, un édit d’Antoine, qui gouvernait Rome en l’absence de César, défendit sévèrement à tous les pompéiens de revenir en Italie sans en avoir obtenu la permission. Cicéron et Læelius, qui n’étaient pas à craindre, furent seuls exceptés. Beaucoup d’autres rentrèrent ensuite, mais on ne les rappela qu’individuellement et par des décrets spéciaux. C’était le moyen pour César de tirer un

  1. L’amnistie générale, dont parle Suétone, n’eut lieu que beaucoup plus tard.