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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/185

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du gnosticisme que dans son idée favorite que la doctrine la plus ancienne est nécessairement la plus vraie, aussi bien dans l’éloquent appel qu’il fait au christianisme naturel de l’âme humaine (anima naturaliter christiana) que dans ses furieux anathèmes contre la parure des jeunes filles et des femmes. « Si Dieu, dit-il, avait voulu qu’elles portassent des vêtemens de couleur brillante, n’aurait-il pas pu ordonner aux moutons de produire des laines écarlates ou bleu d’azur ? »

À ce principe de simplicité Tertullien en joint un autre qui doit le mener de la révélation primitive de Dieu dans toute conscience humaine à la révélation bien autrement complexe que contiennent les livres saints et la tradition chrétienne. Ce second principe est celui de la continuité des choses. C’est le point où le génie de Tertullien devient vraiment spéculatif et conforme, sous bien des rapports, à l’idée-mère de notre philosophie moderne. « Rien de brusque, rien de subit n’est de Dieu, dit-il aux marcionites, parce que rien n’apparaît qui n’ait été prédisposé par Dieu. » Cette continuité est régulière, symétrique, elle est la loi immanente des choses, et comme Tertullien croit vivre à la fin des temps, il définit l’essence de cette loi en disant qu’en tout la fin est identique au commencement, quels que soient les écarts intermédiaires du développement parcouru. Les choses dévient donc graduellement de leur simplicité première, mais gravitent ensuite vers leur reconstitution. Ce développement s’accélère au commencement et à la fin. — Il ne faut donc pas s’étonner, dit-il, si dans les derniers temps les révélations et les événemens majeurs se succèdent coup sur coup. Le temps est comme une grande circonférence où les points qui s’écartaient le plus d’une des extrémités du diamètre semblent ensuite se précipiter pour rejoindre l’autre. Donc, pour connaître la vérité, il faut partir de la nature primitive et suivre la ligne courbe, mais continue, qui mène peu à peu du commencement à une fin qui lui soit identique. Jésus-Christ est le premier et le dernier, l’alpha et l’oméga, parce qu’il rétablira bientôt l’humanité et le reste de la création dans l’état supposé par la perfection édénesque. Et comme les écritures saintes des Hébreux, les plus anciennes de toutes, croit-il, mènent sans interruption du premier homme aux derniers temps, éclaircissant, développant, amenant à maturité les germes contenus dans l’âme, ce sont elles, ainsi que les toutes récentes manifestations de l’Esprit saint dans l’église chrétienne, qu’il faut prendre pour guide dans la recherche de la vérité.

Tout ceci ne manque certainement ni d’originalité, ni de profondeur. Seulement on aura pu remarquer le salto mortale de cette théorie lorsqu’elle passe inopinément de la nature simple et primitive aux livres de l’Ancien Testament. Le manque absolu de critique