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en s’assimilant le culte, les mœurs, la civilisation et en partie la langue du peuple, subjugué, Aujourd’hui les souvenirs de cette conquête, sont heureusement effacés, grâce à la nécessité où s’est trouvé le peuple abyssin de se concentrer vigoureusement pour résister aux grande états musulmans qui l’attaquaient à l’est et au couchant, et aux masses de Gallas sauvages et païens qui le débordaient au midi.

L’Abyssinie se divise en une trentaine de provinces qui portent d’ordinaire dans les documens officiels le titre pompeux de royaumes, titre périmé de fait depuis près de quinze siècles. Celles dont le nom revient le plus souvent dans les livres et les récits des voyageurs sont, à partir de la Mer-Rouge, le Hamazène, l’Agamé, le Chiré, beaux districts plantureux, habités par des populations pacifiques et laborieuses ; Le Semen, que les Allemands appellent les Alpes de l’Afrique, et qui mérite ce nom par ses sommets neigeux de près de 4,800 mètres d’altitude ; le Dembea, plaine grasse et. populeuse, baignée par un beau lac de deux cents milles de tour, et où la géologie peut voir un cratère volcanique immense ; le Beghemder, le Godjam, le Damot, le Choa, fertiles et riantes régions où les rivalités provinciales entretiennent un foyer permanent de guerres civiles ; le Lasta et le Kouara, contrées montagneuses, pittoresques, peuplées de paysans pauvres et fiers qu’un bon sens sceptique a préservés des agitations stériles de leurs voisins. Tout cela forme un ensemble d’environ quatre millions cinq cent mille habitans, répartis dans près de six mille villages.

Le gouvernement normal est une monarchie héréditaire, tempérée par une oligarchie féodale, qui trouve elle-même sa limite dans la forte et libérale organisation dont jouissent les communes, grâce à leurs nombreux paysans-gentilshommes (balagoult, gens à fief). C’est tout à fait le mécanisme politique de la Hongrie et de la Pologne jusqu’à des temps encore peu éloignés de nous, et de la Russie jusqu’au tsar Boris Ier, qui a établi le servage. De tiers-état, l’Abyssinie n’en a jamais eu. Les marchands (neggadé) forment une classe qui ne connaît d’autre solidarité que celle du commerce, qui vit en dehors des affaires publiques et habite un petit nombre de villes telles que Gondar, cité en ruine de 10,000 âmes au plus, centre des études, et de la théologie ; Adoua, sa rivale, ville moderne et commerçante, capitale du Tigré, à cinq lieues d’Axum, qui n’est plus qu’un vaste monastère ; Koarata, ravissante petite ville qui domine une pointe avancée du lac Tána ; Ankober, Madhera-Mariam, Derita, Emfras, peuplées d’à peine quatre mille âmes chacune. Citons aussi, à titre de curiosité, la ville d’Azazo, près de Gondar, bâtie autour d’un monastère fameux et habitée par une aristocratie de marchands lettrés qui mènent de front les affaires et la théologie.