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plus d’un mois. Au sortir de sa retraite, nous le voyons à la tête d’une poignée de routiers, coupant la route de Gallabat en compagnie d’un autre bandit. Il se montrait déjà supérieur aux aventuriers vulgaires parmi lesquels il vivait, et une tentative qu’il fit pour établir parmi eux une certaine discipline donna lieu, à une conspiration que le jeune Kassa, averti par quelques fidèles, réprima sévèrement.

Ennuyé de cette existence peu digne de lui et fortifié par l’adjonction de quelques-unes de ces bandes dont la guerre civile avait rempli l’Abyssinie, Kassa songea, dès lors à se créer une situation politique, et résolut de disputer les province de Dembea à Menène, la mère de ce ras Ali dont on a déjà parlé. Menène est une figure remarquable dans l’histoire contemporaine de l’Afrique. Fille d’un grand seigneur musulman du pays galla, elle avait épousé par ambition le négus régnant, et ne lui avait pas été, paraît-il, plus fidèle que ne sont en général les grandes dames abyssines. Elle commandait elle-même ses troupes, gouvernait avec vigueur son fief du Dembea, et n’était pas trop impopulaire, car, bien que très orgueilleuse, elle n’était pas cruelle. Ce qui semble lui avoir beaucoup pesé, c’est la pensée qu’elle et son fils ras Ali n’étaient que des parvenus au milieu de l’Abyssinie royaliste, formaliste et chrétienne. Elle s’entourait volontiers de prêtres et de lettrés, et ras Ali fondait et dotait force églises ; mais on ne croyait guère à leur orthodoxie, ce qui contribua beaucoup à leur ruine. Avertie de la levée de boucliers du fils de Haïlo, Menène n’envoya d’abord contre Kassa qu’une petite armée qui se débanda, au premier choc. Prise ainsi à l’improviste, Menène ne trouva rien de mieux à faine que d’offrir au vainqueur la province de Dembea sous sa suzeraineté et la main de sa petite-fille Tzoobèdje. Kassa n’hésita point à accepter l’une et l’autre.

Il était alors très jeune, aventureux et fanatique. Il ne suivit donc que sa pente naturelle en entreprenant une campagne contre les Égyptiens, qui, à la faveur des troubles du Kuara, avaient reconquis le Gallabat. Il fit une première razzia contre la capitale de cette dernière province, Métamma, où se tient un marché hebdomadaire très fréquenté ; il attaqua la place précisément un jour de marché, et se retira gorgé de butin. Cet heureux coup de main attira autour de lui tous les jeunes vagabonds de Gondar qui pouvaient tenir une lance et un bouclier, et, suivi de cette foule plus embarrassante qu’utile, il vint se heurter, au bord de la rivière Rahad, à deux compagnies de bonne infanterie égyptienne bien retranchées dans une zériba ou enclos d’épines et commandées par un certain Saleh-Bev, gros officier assez nul, qui eut le bon sens de s’effacer derrière un simple capitaine nommé Elias-Effendi, expérimentent modeste, qui