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qu’elle veillait, pensant aux erreurs de sa vie, elle crut voir Jésus s’approcher de son lit, lui toucher la main, et lui dire, comme autrefois, à Lazare : « Lève-toi et sors ! » Et il lui sembla aussi que, se levant en sursaut et marchant, elle était allée se placer à table auprès du Sauveur. Ce qui est certain, c’est qu’une crise salutaire s’opéra en elle durant cette nuit, que ses forces revinrent, et que bientôt elle put se lever. Blésille se crut guérie miraculeusement, et ses amis le crurent comme elle. Désireuse de consacrer désormais sa vie au Dieu qui l’avait retirée de la mort, et voulant sortir aussi « du sépulcre du siècle, où elle gisait depuis si longtemps sous le linceul des richesses et des plaisirs » (c’était le langage chrétien du temps), elle renonça au monde pour prendre la vie religieuse : elle changea d’habits, de façon de vivre, d’entourage. Jérôme nous la représente ramassant avec une amère volupté ce qu’elle possédait de robes, de bijoux, de tissus de soie brochés d’or, et en faisant un paquet qu’elle vendit au profit des pauvres. Sa conversion, comme on l’appelait, fut un grand événement, qui mit sa famille en courroux, étonna fort les gens du monde et remplit de joie les fidèles de l’église domestique. Jérôme entonna le cantique d’allégresse, qu’il mêla peut-être un peu trop d’attaques et de défis à la parenté païenne ou mondaine de la convertie. Il le fit dans une lettre à Marcella qui courut bientôt toutes les maisons de Rome, et servit d’édification aux uns, de cause ou de prétexte de récrimination aux autres.


« Il vient de se passer, disait-il, une chose qui offusque étrangement le monde : Blésille a pris un vêtement de couleur sombre ! Quel scandale ! Comme si Jean-Baptiste le précurseur, proclamé par Jésus lui-même le plus grand d’entre les enfans des femmes, avait scandalisé l’univers en portant un habit de poil de chameau et une ceinture de peau de mouton ! Blésille rejette de sa table les mets succulens et recherchés : c’est un autre scandale ! Comme si le précurseur ne s’était pas nourri de sauterelles !… Ah ! les femmes qui scandalisent les chrétiens, moi je les signalerai : ce sont celles qui se barbouillent de rouge et de noir les joues et les yeux, celles dont les faces de plâtre, trop blanches pour des faces humaines, nous font penser aux idoles, celles qui ne peuvent pas verser une larme sans qu’elle creuse un sillon sur leurs joues, celles à qui le nombre des années ne peut enseigner qu’elles vieillissent, qui se construisent une tête avec les cheveux des autres et se fourbissent une tardive jeunesse par-dessus leurs rides, celles enfin qui se comportent en petites filles timides devant le troupeau de leurs petits-fils : voilà les femmes qui nous scandalisent, nous chrétiens, et voici celles que nous vénérons.

« Notre chère veuve autrefois ne quittait pas son miroir, cherchant tout le jour ce qui lui manquait pour plaire ; maintenant elle répète avec confiance ces mots de l’apôtre : « Relevant la face vers le Seigneur pour contempler sa lumière, nous sommes transformés en son image, de gloire en