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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/336

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campagne) devenaient déjà rares, et le désert dans toute sa solennité s’étendait à perte de vue. Çà et là se dressait un ombù gigantesque, des buissons d’énormes cactus, d’aloès agaves, de juccas entremêlés d’artichauts sauvages, de mimosas, de caroubiers. De temps à autre, une raie verdâtre à l’horizon dessinait une de ces forêts qui dans le pays servent invariablement de lisière aux fleuves. Des lagunes, dont les eaux tranquilles reflétaient l’azur du ciel, brillaient çà et là dans l’herbe déjà un peu jaunie par les premières chaleurs de l’été. Les grands terriers des viscachos ou chiens des prairies s’élevaient comme de petits monticules couverts d’une herbe fine et percés de trous réguliers. D’immenses troupeaux paissaient dans les pampas. Les péons qui les gardaient à cheval, la pique à la main, le teint bronzé par le vent du désert, avaient un air sauvage et mélancolique.

Après trois ou quatre heures de galop, on arriva au premier relais de poste. Ces relais ne sont d’ordinaire que de misérables ranchos de terre et de roseau, avec un galpon (toit) soutenu par des piquets et un corral pour les animaux. Les voyageurs ne doivent pas s’attendre à y trouver le moindre comfort. Il faut se procurer soi-même vivre et couvert, et camper poétiquement à la belle étoile.

En mettant pied à terre, Pastor aperçut un petit garçon de sept à huit ans, qui, les jambes en l’air et la figure dans le sable, pirouettait comme un jeune singe.

— Y a-t-il quelqu’un à la maison, muchacho ? demanda-t-il à l’enfant.

— Personne, señor.

Pastor se tourna vers sir Henri. — Il en est presque toujours ainsi dans ces relais, dit-il ; il faut que chacun se serve à sa guise. Descendez de cheval, señor, et reposez-vous un peu pendant que je vais m’occuper du nécessaire.

Cela dit, Pastor cessa d’interroger le muchacho, qui, fier et superbe, ne lui aurait du reste plus répondu. Il remonta à cheval, avisa dans l’éloignement un troupeau de moutons, se lança à toute bride de ce côté, et, après avoir marchandé un agneau au berger, revint avec l’animal ; en un instant, celui-ci fut tué, dépecé, coupé par quartiers. Pastor raviva un reste de feu qui languissait sous le galpon en y jetant quelques brassées d’épines sèches arrachées à une clôture. Lorsque le bois fut brûlé, il embrocha les quartiers d’agneau à deux petites baguettes de fer qui traînaient dans un coin, tira de sa poche un peu de sel, et après les en avoir saupoudrés, il fixa les baguettes au-dessus du feu. Sir Henri regardait curieusement tous ces apprêts. La porte du rancho était fermée, le corral vide. — Pendant que le mouton va rôtir, dit Pastor, il faut aller chercher des chevaux. J’en vois qui paissent là-bas.