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années du dernier règne. » Commerce, marine, colonies, autant de questions pour lesquelles il conseillait la sollicitude la plus active. Le commerce n’avait besoin que d’une protection vigilante ; la marine ne pouvait se rétablir que peu à peu, on n’improvise pas des escadres, et dût-on reconstituer nos forces navales plus vite qu’il ne l’espérait, il serait prudent de ne pas donner l’éveil aux ennemis par une activité impatiente. « Mais l’état des colonies, ajoute l’auteur du Mémoire, exige le remède le plus prompt et le plus efficace. Il ne s’agit que d’y envoyer des troupes, des officiers, quelques ingénieurs, de l’artillerie, de la poudre, des vivres. Officiers et soldats doivent être bien choisis ; on doit leur faire envisager des récompenses proportionnées, en leur promettant des établissemens conformes à leur état. C’est ainsi que s’est formée la colonie du Canada, et de son extraction militaire vient en partie le courage de ses habitans… Des recrues prises au hasard ne conviennent point ; envoyer des régimens entiers serait une démarche hasardeuse et qui aurait trop d’éclat. Les troupes qu’on destinerait à cet usage n’obéiraient qu’à regret et se regarderaient comme exilées de leur patrie. » Il faut que ces colons militaires aillent en Amérique avec joie, il faut que chacun d’eux ait l’espoir d’y faire fortune. « Pour remplir cette vue, on propose de tirer de chaque compagnie de l’infanterie française quelques soldats de bonne volonté, d’en former des compagnies indépendantes, de mettre à leur tête des officiers réformés, les plus propres à de pareilles commissions. Il y en a beaucoup de pauvres qui ne savent que devenir et qui se trouveront peut-être forcés de chercher fortune dans les pays étrangers : autant de sujets utiles perdus pour la France. »

Changez les proportions des personnages ; au lieu d’officiers réformés, mettez ici un maréchal-général réduit à l’inaction, ces paroles pourront s’appliquer à Maurice. Lui aussi, à son point de vue, il est pauvre, puisqu’il a toujours rêvé une couronne, et qu’il doit se résigner à sa souveraineté de Chambord. Aussi les faiseurs de projets sont-ils sûrs d’être bien accueillis quand ils viennent lui offrir ce que le duc de Noailles voulait faire proposer aux vétérans de bonne volonté, aux officiers privés de leur emploi, l’occasion de chercher aventure dans le Nouveau-Monde. Le marquis d’Argenson nous apprend dans son journal qu’au mois de juin 1748 certains diplomates s’étaient mis en tête d’exhumer les vieilles prétentions de Maurice sur le duché de Courlande, et d’obtenir de la Russie son élection définitive. On y aurait vu l’avantage de rendre libre une grande position militaire et de satisfaire les ennemis du maréchal. Le premier de tous était le prince de Conti, dont l’ambition fiévreuse n’avait plus de bornes. Les conseillers officieux qui firent briller aux regards de Maurice une royauté à conquérir dans l’île