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pendant trente jours de suite, ait retenti jusqu’aux extrémités de la France ; que les courtisans ennemis de Maurice aient été obligés de feindre la tristesse en présence de ce grand deuil ; que le roi en ait ressenti la douleur la plus vive[1], et qu’il ait compris surtout l’étendue de sa perte au milieu des désastres de la guerre de sept ans ; que le héros ait été chanté par Voltaire et, Frédéric le Grand ; qu’un statuaire habile ait été chargé de lui élever un monument dans l’église métropole des protestans d’Alsace, et que l’inauguration de ce monument ait attiré de France et d’Allemagne une foule immense vingt-sept ans encore après sa mort[2], ce n’est pas là ce que je veux rappeler ici. Je dirai avant toute chose ; il fut pleuré du peuple et du soldat, car il aimait les plus humbles de ses compagnons d’armes, il ménageait leur vie tout leur en préparant des heures de gloire, il était bon et juste, il avait des élans de sensibilité vraiment humaine à la veille des sacrifices qu’impose la guerre. Le matin de la journée de Raucoux, pendant que tout dormait encore sous les tentes, parcourant des yeux ces plaines tranquilles où se jouaient les premières lueurs de l’aube, et songeant à tant de braves gens qui allaient y trouver la mort, il ouvrit son cœur à Sénac, lui cita quelques vers de Racine appropriés à la situation et ne put retenir ses larmes. Une autre fois, un général de cour lui conseillant l’attaque d’un poste, attaque inutile peut-être, mais où

  1. Les archives de Saxe possèdent la lettre autographe adressée par Louis XV à Frédéric-Auguste III, roi de Pologne, le jour même de la mort de Maurice. En voici le teste publié par M. de Weber ; nous rectifions seulement l’ortographe :
    « Monsieur mon frère, la perte que je viens de faire du maréchal de Saxe me pénètre de la plus vive douleur. Son attachement pour ma personne me la fait sentir encore plus vivement. Je n’oublierai jamais les services importans qu’il m’a rendus. Ses qualités supérieures le rendaient bien digne du sang dont il sortait. Je partage bien sincèrement avec votre majesté les regrets qu’un si triste événement à tous égards lui causera, en l’assurant de toute l’amitié avec laquelle je suis, monsieur mon frère, de votre majesté, le bon frère,
    « Louis. »
    « Versailles, ce 30 novembre 1750. »
  2. La dépouille mortelle du maréchal était partie de Chambord le 7 janvier 1751 avec une escorte de cent dragons ; le 7 février, le cortège funèbre fit son entrée dans Strasbourg. Le corps fut transporté immédiatement à l’église Saint-Thomas et déposé dans un caveau d’attente. Deux oraisons funèbres furent prononcées en allemand, l’une par le pasteur Lorenz, l’autre par M. Froereisen, président du consistoire. Le même jour, un service funèbre était célébré à Paris pour le comte de Saxe dans la chapelle de la légation suédoise, et le pasteur Baer y glorifiait en termes fort inattendus non-seulement les victoires du maréchal, mais les triomphes de sa foi chrétienne. Quant au célèbre mausolée dû au ciseau de Pigalle, il ne fut terminé qu’en 1776 ; l’inauguration eut lieu en grande pompe le 20 août 1777. La princesse Christine de Saxe, abbesse de Remiremont, écrivait le 23 à Dresde : « La cérémonie a attiré plus de six mille étrangers logés aux auberges et chez les bourgeois, sans compter ceux qui logeaient chez leurs parens et amis. Enfin, — seulement princes et princesses de Bade, Hesse, etc., et nous, — nous étions ce jour-là quinze a dîner chez le maréchal de Contades. »