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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/534

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durable, c’est poser les premières assises d’un édifice religieux ; mais, de ce moment même, cette notion a cessé d’être individuelle, cette formule fait partie de la langue : l’une et l’autre sont le bien de tous, et personne n’en peut revendiquer la création ni la propriété. Selon M. Max Müller, les religions ont appartenu d’abord à des familles et à des sociétés d’hommes extrêmement restreintes. Il faut ajouter pourtant qu’une notion nouvelle ou perfectionnée de Dieu se répand vite dans une société tout entière, et devient aussitôt l’objet des réflexions des hommes faits appartenant à une même génération. Il est certain que les hymnes du Véda sont attribués à des familles où la transmission de la doctrine sacrée s’opérait du père aux fils sans l’intermédiaire d’aucun corps sacerdotal ; mais on rencontre aussi dans beaucoup de ces hymnes des formules identiques, bien qu’ils soient attribués à des familles différentes contemporaines les unes des autres, et habitant des points très éloignés dansl’Heptapotamie indienne. Selon toute vraisemblance, ces formules, qui ont presque toujours trait à quelque vertu divine, faisaient déjà partie de la religion commune, ainsi que le dieu auquel on les adressait ; il y avait donc eu un accord formel ou tacite entre ces prêtres-poètes ou entre leurs ancêtres, accord à la suite duquel ces formules avaient été généralement adoptées.

Quoi qu’il en soit, l’expression mise en commun est évidemment la première forme du dogme, et celui-ci commence à se fixer lorsque les hommes qui l’ont admise reconnaissent qu’elle répond à toute l’idée qu’ils se font de la Divinité. Il n’y a dans les Évangiles et dans les autres livres canoniques qu’un très petit nombre d’expressions métaphysiques relatives à la nature divine ; au contraire les livres des pères de l’église en contiennent un grand nombre. Parmi elles, plusieurs sont restées dans leurs écrits, comme énonçant des opinions individuelles ; d’autres sont entrées dans le domaine commun et pour ainsi dire dans le corps de la métaphysique chrétienne. Si l’on rapproche les deux époques extrêmes du christianisme, celle des Évangiles et la nôtre, la brièveté du dogme dans le premier cas et son grand développement dans le second frappent l’esprit le moins prévenu. Par conséquent on est conduit à chercher dans l’histoire les anneaux intermédiaires qui forment cette longue chaîne de dix-huit cents ans, c’est-à-dire les époques successives où l’idée chrétienne a reçu quelque éclaircissement nouveau. On reconnaît alors que c’est dans les prédications, dans les livres, dans les correspondances privées, dans les réunions des conciles, que ces progrès se sont accomplis. Dans les deux premiers cas, l’idée personnelle de l’orateur ou de l’écrivain a passé dans le dogme quand elle s’est trouvée conforme aux principes déjà reçus, ou bien elle a donné lieu à une hérésie quand cet accord n’a pu s’établir. Dans les conciles,