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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/544

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y ont déjà pris leur place, et les études spéciales ont pour but de combler les vides qu’ils laissent encore entre eux. Toutefois il faut bien reconnaître que les affirmations des savans sont souvent hasardées, soit parce que l’horizon restreint où ils s’enferment les empêche de voir l’ensemble des faits, soit parce que l’esprit est plus prompt à affirmer quand il découvre que quand il apprend. Après tout, les sciences d’observation n’avancent qu’à ce prix : des erreurs entachent presque toutes les découvertes ; c’est par la discussion et par des recherches nouvelles qu’elles atteignent la clarté scientifique. Le grand travail qui en ce moment, se fait en France et en Allemagne sur les Évangiles a déjà donné lieu à des controverses et à des rectifications mutuelles entre les savans ; mais peu à peu les faits s’établissent, et la suite s’en recompose selon l’ordre où ils se sont accomplis.

Depuis trente ans, nous voyons se reconstituer l’histoire d’une grande civilisation qui semblait n’avoir pas eu d’histoire, L’Inde paraissait échapper pour toujours à toute chronologie ; mais les indianistes ont suivi la méthode des géologues : ne pouvant fixer des dates, ils se sont contentés de reconnaître d’abord les grandes périodes de la littérature et de la civilisation indienne. Les cadres étant formés, nous voyons les livres, les faits, les idées, venir s’y ranger tour à tour, et, par des synchronismes prudemment établis, les grands faits de l’histoire de l’Inde commencent à prendre place dans l’histoire générale de l’humanité. Si l’on avait tenté cette restitution en commençant par le Vêda, vraisemblablement la science eût longtemps encore marché au hasard ; mais le bouddhisme, qui est la dernière forme des religions indiennes, a été le premier étudié scientifiquement. Les grandes dates en ont été reconnues avec une approximation suffisante, et elles ont servi de point de départ pour remonter le courant brahmanique ; enfin le Vêda a été découvert, et c’est sur lui que les études portent en ce moment. Or le Vêda est la forme la plus antique des religions indiennes et celle qui nous les montre le plus près de leur berceau. Une suite de hasards heureux a fait connaître aux savans européens les livres sacrés de l’Orient dans l’ordre le plus favorable à l’étude. Les livres brahmaniques, où la religion indienne apparaît dans toute sa plénitude, ont été connus les premiers ; ceux du bouddhisme l’ont été plus tard et ont donné les premières dates historiques ; enfin les hymnes du Vêda avec leurs commentaires sont venus dévoiler la source de ce grand fleuve, dont on connaissait le cours principal et les dérivations. L’apparition du Vêda en Europe a produit dans les études indiennes le même effet que produirait la découverte du Pentateuque, si l’on ne connaissait encore que les autres livres de la Bible et ceux des chrétiens.