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Toutes ces nouveautés étonnaient les esprits, et la singularité de tels résultats renversait les règles de la tradition. À Padoue, elles étaient reçues avec applaudissement ; la parole nette et pénétrante de l’illustre professeur captivait ses auditeurs et les entraînait ; mais dans le reste de l’Italie de nombreux contradicteurs résistaient avec obstination, en opposant même, pour les nier ensemble, les découvertes les unes aux autres. Comme le télescope faisait apparaître des étoiles en tous les points du ciel, ce sont, disait-on, de fausses images, apparences douteuses ou tout à fait vaines, créées par l’instrument lui-même qui défigure le spectacle des cieux et nous le cache plutôt qu’il ne le montre. Un professeur de Bologne prétendait avoir aperçu trois soleils à la fois : il était aisé de répondre qu’aucune lunette ne montrait de satellites à Mars ou à Vénus, et que toutes s’accordaient à en faire voir autour de Jupiter. Dieu, lui disait-on encore, ne crée rien en vain, et l’univers, personne n’en doute, a été fait pour l’homme : or à quoi peuvent servir de telles planètes ? Placées hors de la portée de notre vue et condamnées à l’inaction par leur petitesse, elles resteraient oisives et superflues. — C’est la faute de la nature, et non la mienne, répondait Galilée ; pourquoi d’ailleurs leur refuser si hardiment un rôle dans la grande machine céleste ? Rien n’est que ce qui doit être : combien les voyageurs ont-ils décrit d’humbles plantes dont l’utilité est inconnue et douteuse ! Osera-t-on en conclure qu’elles n’existent pas ?

L’un des contradicteurs les plus ardens de Galilée fut le Hongrois Horki, dont Képler, son ami et son maître, blâma sévèrement la présomptueuse hardiesse. Son ouvrage hautain et tranchant blessa vivement les amis de Galilée, et vraisemblablement l’illustre philosophe lui-même, qui, cédant néanmoins aux prières de Képler, consentira à n’y pas répondre. « Il n’est pas de votre dignité, écrivait Képler, de faire des frais d’impression pour réfuter un tel adversaire. Voulez-vous, ajoute-t-il, descendre dans la lice, dès que le premier venu a crié, comme sur les bancs de l’école : Responde, responde ! de suggestu descende ! »

Antoine Roffini, de Bologne, disciple et ami de Galilée, songeait à une réplique d’une autre nature. « Horki est bien heureux, écrit-il à Galilée, d’avoir reconnu quelques honnêtes gens qu’il avait vus avec moi, et d’avoir su leur profession. S’apercevant qu’ils le suivaient, il s’est enfui. » Nous n’avons pas la réponse de Galilée, et je n’ose prendre sur moi d’en deviner le sens. Tout métier doit nourrir son homme, et pour que les honnêtes gens dont parle Roffini vécussent du leur, il fallait qu’on n’eût pas alors sur l’intervention des argumens qu’ils administraient la même manière de voir qu’aujourd’hui.