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surpris et non préparés à la résistance. C’est ainsi qu’il envahit vers la fin de juillet la province d’Agaumider, où il cerna quelques milliers de déserteurs de son armée mêlés à des gens de Tedla-Gualu. Il fut sans pitié, passa tout au fil de l’épée, battit un des meilleurs généraux ennemis, qui avait quitté son service pour celui du rebelle, et publia partout un bulletin officiel qui portait à quinze mille le nombre des hommes tués dans ces deux affaires. Je suis convaincu qu’il quadruplait au moins le chiffre, d’autant plus qu’il n’avait, en entrant dans l’Agaumider, que quatre cents hommes auxquels il joignit en route quelques contingens fidèles. Après avoir saccagé cette province et l’Alafa, il rentra à Djenda, où il rejoignit le consul anglais, M. Cameron, de retour en Abyssinie après quatre mois d’absence. L’agitateur religieux du Kouara, le neggadé Kassa, s’était réfugié, à l’approche du négus, dans les kolla ou basses terres de la province. Le pays, terrifié par les dévastations des provinces voisines, ne se montrait guère disposé à le soutenir, et quand Théodore II eut ordonné aux populations du Kouara d’en finir avec le rebelle sous peine d’être traitées comme celles de l’Alafa, les Kuaranya coururent aux armes, battirent aisément Kassa, le prirent et l’amenèrent à Djenda (19 août). Le négus avait été violemment irrité par cette révolte au sein de la seule province de l’empire en laquelle il mît un peu sa confiance. « Tu as prétendu que mon temps est passé, dit-il à Kassa ; mais quand cela serait, n’ai-je pas un fils pour me succéder, et en quoi a-t-il démérité ? » Pour qui connaissait le négus, il était évident qu’il serait implacable pour l’audacieux qui avait douté de la solidité de son édifice dynastique. Kassa, sommairement condamné, fut lié à un arbre. Théodore s’assit froidement en face de lui, se fit apporter son fusil, visa, et en prononçant les paroles sacramentelles : « Au nom de la très sainte Trinité ! » il lui envoya deux balles dans la poitrine. Les soldats présens criblèrent le cadavre de coups de lance et en firent un triste et informe débris.

Un événement prévu fit une heureuse diversion à ces scènes sanglantes. L’envoyé du négus à Paris revenait à Gondar vers les premiers jours de septembre, porteur d’une réponse du gouvernement français à la lettre de Théodore II. Celui-ci, fier de ce succès diplomatique, convoqua à Gondar tous les Européens établis en Abyssinie pour assister à la lecture du message impérial ; mais il avait préalablement ouvert la lettre pour la livrer aux traducteurs, de sorte que le contenu en fut vite connu, et que je pus sans indiscrétion me concerter d’avance avec mon collègue britannique et les membres les plus influens de la petite colonie en vue d’une action commune, sur l’esprit du négus dans le sens des instructions que j’avais reçues. La lettre officielle demandait en termes courtois, mais fermes, la