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et si généralement pratiquée, ne s’est jamais étendue à la direction d’une usine. Et surtout, demander que l’état accorde des subventions aux sociétés qui tenteraient de se former, c’est rêver l’impossible. Quant aux salaires fixes et au minimum de salaire, la question, qui n’est d’ailleurs soulevée que par un petit nombre de rapports, n’est même pas discutable. En résumé, parmi tous les vœux exprimés, il n’y a de sérieux que les demandes qui s’appliquent à la liberté de coalition et à la liberté de réunion. De ces deux libertés, la première est dès ce moment acquise : la seconde ne se fera peut-être pas longtemps attendre.

Voilà, dégagées des commentaires compromettans qui les accompagnent, les propositions des délégations ouvrières. Il nous faut maintenant revenir au point de départ. Il s’agit, on le sait, de provoquer la hausse des salaires et d’atteindre le salaire anglais. Nous avons vu pendant ces derniers temps, à Paris et dans quelques villes, certains corps d’état obtenir l’augmentation du prix de la journée, ou, ce qui revient au même, la limitation des heures de travail. Cette révision partielle des salaires, qui s’est accomplie facilement et sans lutte, mérite d’être remarquée ; elle se poursuivra sans doute partout où elle sera possible. En même temps qu’elle prouve l’utilité des modifications récemment apportées au régime des coalitions, elle atteste la sagesse des patrons qui ont accepté franchement les conséquences d’une situation toute nouvelle ; mais il ne faut pas que l’on se fasse illusion. Ce n’est ni la loi récente, ni le bon vouloir des chefs d’industrie, ce ne seraient pas surtout les exigences impérieuses des ouvriers qui amèneraient la hausse des salaires. Les délégués, qui ont étudié l’histoire des manufactures britanniques, ont dû y voir que si la libre entente des ouvriers, se combinant avec la concurrence des patrons qui se disputent la main-d’œuvre, a assuré au travail son véritable prix, les coalitions violentés ont invariablement eu pour résultats la fermeture des ateliers, l’épuisement des caisses de chômage et la ruine des populations ouvrières. Ils y ont lu également que le taux de la journée, dans diverses branches d’industrie, a subi des alternatives assez fréquentes de hausse et de baisse. Cette impuissance de la force à l’égard du salaire et cette mobilité de la valeur assignée au travail démontrent suffisamment qu’en pareille matière tous les agens de la production industrielle, les ouvriers comme les patrons, sont tenus d’obéir à une loi supérieure, indépendante de leurs désirs et de leurs caprices, et cette loi, les économistes l’ont rattachée au principe général de l’offre et de la demande, principe dont les applications sont aussi variées qu’infaillibles.

On a sévèrement blâmé les économistes d’avoir introduit dans cette discussion une doctrine que l’on emploie d’ordinaire pour caractériser