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depuis trop longtemps pour qu’un si long plaidoyer puisse intéresser encore, et souvent le lecteur trouve que pour appuyer autant il faut compter bien peu sur son intelligence. Les longueurs sont excusées, il est vrai, par le cadre même du livre ; Galilée donne à ses dialogues le mouvement et la vie d’une conversation piquante et variée. Les demandes et les réflexions du péripatéticien Simplicio justifient les deux interlocuteurs Sagredo et Salviati, dont l’inaltérable patience accumule d’aussi minutieux détails. Mêlant les comparaisons les plus familières aux argumens les plus nets et à des raisons invincibles, redressant leurs vues ou les confirmant mutuellement, ils se mettent judicieusement d’accord sur toutes les questions débattues. De temps en temps ils se réunissent pour presser Simplicio avec une force irrésistible. Ils l’accablent gaîment et le poussent à bout, mais ne le convainquent pas. Lorsque enfin leur adversaire, immolé à la risée du lecteur, semble n’avoir plus aucun refuge, les deux philosophes n’osent cependant pas conclure. Le niais Simplicio, obstiné jusqu’au bout à fermer les yeux, admire plus que jamais Aristote et croit toujours la terre immobile. L’ouvrage finit comme il a commencé, par un acte de prudence. Et en réponse au dernier argument de Salviati : « Vos raisonnemens, dit Simplicio, sont les plus ingénieux du monde, mais je ne les crois ni vrais ni concluans. » Et songeant à une réflexion qu’il trouve très sage, faite autrefois devant lui par une personne éminente devant laquelle il faut s’incliner, « nous n’observons, dit-il, que des apparences : de quel droit prétendez-vous limiter la puissance de Dieu en assignant les voies par lesquelles il lui a plu de les produire ? — Vous avez raison, répondent les deux autres, admirons ensemble la sagesse infinie qui a tout créé, et n’essayons pas d’en pénétrer les abîmes. »

C’est sur cette prudente réflexion que les trois amis se séparent, et l’auteur lui-même, sans rien assurer, ni rien nier, remet, comme il a eu le soin de le dire, la décision à de plus habiles. Toutefois un tel ménagement ne pouvait désarmer ses adversaires. Ces déguisemens ne peuvent cacher un mépris manifeste pour la théorie de Ptolémée, et l’ironie perce à chaque page du livre. Il y avait d’ailleurs témérité évidente à agiter des questions déjà jugées, et insolence inouïe chez un laïque à reproduire des objections tranchées depuis longtemps avec une autorité infaillible. L’exposition détaillée et complaisante d’une doctrine frappée déjà par les foudres de Rome était un désordre qui nourrissait l’esprit d’indépendance. Les ennemis de Galilée firent retentir l’Italie de leurs murmures et de leurs accusations ; théologiens et péripatéticiens s’élevaient à l’envi contre lui. Les premiers, appuyés sur la parole de Dieu, méprisaient