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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/756

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traverser la grande république américaine. M. Lincoln a commencé l’allocution qu’il adressait à la foule qui venait le complimenter sur son élection par ces remarquables paroles : « Ç’a été pendant longtemps un grave problème de savoir si un gouvernement qui ne serait pas trop fort pour les libertés du peuple serait assez fort pour maintenir sa propre existence dans les grandes crises. À cet égard, la rébellion actuelle a soumis notre république à une épreuve sévère. Une élection présidentielle, ayant lieu à l’époque régulière pendant le cours de la rébellion, n’a pas peu contribué à augmenter nos difficultés. Si le peuple, loyal et uni, était poussé au bout de ses forces par la rébellion, ne pouvait-il être exposé à une défaillance lorsque ses efforts seraient divisés et en partie neutralisés par une lutte politique intérieure ? Mais l’élection était une nécessité. Nous ne pouvons avoir de gouvernement libre sans élections, et si la rébellion avait le pouvoir de nous contraindre à anticiper ou à ajourner une élection nationale, elle pourrait se vanter à bon droit de nous avoir déjà vaincus et ruinés. » Cette élection s’est accomplie, à l’heure fixée par la constitution, malgré une guerre terrible, au milieu de la plus libre compétition des partis. Donc ce grand fait est acquis : la guerre n’a point dérangé le mécanisme de la noble et glorieuse constitution républicaine de l’Union. L’élection ne s’est pas faite seulement au moment régulier et en pleine liberté ; le peuple américain a prononcé sur sa politique et sur sa destinée au milieu de l’ordre le plus parfait. Les correspondans de la presse anglaise, d’ordinaire si prévenus contre les Yankees, sont contraints de rendre témoignage de l’imposante attitude qu’a gardée la démocratie américaine. Ils s’accordent à dire que, malgré la vivacité de la lutte, les opérations électorales ont été conduites dans tout le pays avec une droiture de sentimens, une convenance et un ordre qui font le plus grand honneur au peuple américain. Toutes les plaintes chicanières inspirées avant l’élection par l’esprit de parti sont tombées devant le fait. Il ne peut plus être question de fraudes électorales ; s’il en a été commis, c’est en petit nombre, par les deux partis, et elles n’ont pu avoir d’influence sur le résultat de l’élection. On ne peut plus parler de pression, exercée sur les votes militaires : à l’armée du Potomac, on a vu des régimens se partager entre l’oncle Abe et le petit Mac. On ne peut plus alléguer l’illégalité du serment politique imposé dans les états de la Louisiane, du Tennessee et de la Floride, où les confédérés sont en force : la majorité de M. Lincoln dans le collège électoral demeurerait énorme quand on en retrancherait les votes de ces états ; bien plus, cette majorité est si considérable que, lors même que les états confédérés eussent pris part à l’élection et eussent tous voté pour le général Mac-Clellan, elle n’en serait pas moins toujours acquise à M. Lincoln. Ainsi le peuple américain vient de faire sa grande démonstration constitutionnelle de la façon la plus honorable pour ses institutions et la plus décisive pour la politique suivie par son gouvernement.