Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/773

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

immenses travaux que les Hollandais ont accomplis pour assurer leur territoire contre les irruptions de la mer et des fleuves. Au moyen âge, les habitans du littoral reculaient chaque année devant les flots de la Mer du Nord et la chaîne des dunes ; comme s’ils eussent voulu hâter leur ruine, ils coupaient les forêts qui leur servaient de rempart contre les sables, et par une imprudente exploitation transformaient les tourbières en mares et en étangs. Aussi, lors des grandes tempêtes, des campagnes de plusieurs milliers d’hectares disparaissaient en un seul jour sous les eaux avec leurs villages et leurs cultures. Enfin les Hollandais, sentant le sol s’enfoncer graduellement sous leurs pas, tremblant de voir les flots s’abîmer sur eux en déluge, prirent des mesures de défense pour résister aux envahissemens de la mer. Pendant les derniers siècles, l’histoire agricole des Pays-Bas est le récit d’un combat sans trêve entre l’homme et l’océan, et dans ce combat c’est l’homme qui a remporté la victoire. Exerçant sur la pression des flots une surveillance de tous les instans, il a consolidé le littoral au moyen de levées, de murailles et de plantations ; puis il s’est emparé des laisses de mer par une série de jetées et de digues, et de progrès en progrès il a fini par reprendre une partie considérable du sol jadis enlevé à ses ancêtres. Sa dernière grande conquête a été de pomper, pour le déverser dans la mer, le lac de Harlem tout entier, qui ne contenait pas moins de 724 millions de mètres cubes d’eau, et maintenant il rêve d’assécher le Zuyderzee, un golfe de 500,000 hectares, que les tempêtes de la Mer du Nord ont mis dix siècles à creuser.

Dans tous les pays du monde civilisé, il existe déjà, comme en Hollande, de magnifiques travaux par lesquels l’homme a su modifier à son avantage quelques-uns des traits géographiques de la terre. En France, les watteringues de la Flandre, les baies de la Marquenterre ont été conquises sur l’océan, et l’on a su fixer par des plantations la chaîne de dunes mobiles qui, sur une longueur de plus de 200 kilomètres, marchait à l’assaut des landes de Gascogne[1]. En Angleterre, on a transformé en cultures une grande partie du golfe de Wash, et la baie de Portland tout entière est devenue un port aux eaux tranquilles. Il n’est pas jusqu’à la surface du désert où l’homme n’ait récemment tenté avec succès de compenser, par le creusement de puits artésiens et la création de nouvelles oasis, les nombreuses dévastations dont il s’est rendu coupable sur tant d’autres points du globe. Ces œuvres utiles, qui constituent de véritables révolutions géographiques

  1. Dans son livre, M. Marsh établit une distinction qui ne me semble point fondée entre les dunes de l’intérieur et celles du littoral. D’après lui, ces dernières auraient en général une forme conique, bien différente de la disposition en croissant affectée par les monticules mobiles éloignés de la mer. C’est là une erreur, du moins pour les dunes de Gascogne. Les collines de sable qui n’ont pas été réunies par le vent en un long rempart recourbent leurs extrémités libres vers l’intérieur des terres, et leur crête décrit toujours une demi-circonférence semblable à celle d’un cratère éboulé. Quelques-uns des cirques compris entre les branches latérales du croissant n’ont pas moins d’un kilomètre de large.