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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/816

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plus solide et plus saine que celle de cette grande place ; notre Louvre, la place de la Concorde ne sont en comparaison que des décorations d’opéra. Elle va montant, et se découvre ainsi d’un coup d’œil tout entière. Deux superbes colonnades l’enserrent de leur courbe. Au centre, un obélisque, et sur les flancs deux fontaines, agitant leurs panaches d’écume, peuplent son énormité. Quelques points noirs, des hommes assis, des visiteurs qui montent, une file de moines, raient la blancheur de ses gradins, et au sommet de tous ces escaliers, sur un entassement de colonnes, de frontons, de statues, s’élève le gigantesque dôme.

On a pourtant fait tout ce qu’il fallait pour le cacher. Au second regard, il est clair que la façade l’écrase ; c’est celle d’un hôtel de ville emphatique ; on l’a construite dans un temps de décadence. On a compliqué les formes, multiplié les colonnes, prodigué les statues, entassé les pierres, en sorte que la beauté a disparu sous l’encombrement. On entre, et à l’intérieur la même impression reparaît. Un mot reste sur les lèvres : grandiose et théâtral. Cela est puissant, mais cela est emphatique. Il y a trop de dorures et de sculptures, trop de marbres de prix, trop de bronzes, d’ornemens, de caissons et de médaillons. À mon gré, toute œuvre architecturale ou autre doit être comme un cri, comme une parole sincère, l’extrémité et le complément d’une sensation, rien d’autre : par exemple, tel Titien ou tel Véronèse fait pour occuper voluptueusement et magnifiquement les yeux pendant un festin d’apparat ou une représentation officielle, ou bien encore un intérieur de vraie cathédrale gothique, celle de Strasbourg avec son énorme nef noirâtre traversée de pourpre ténébreuse, avec ses files de piliers muets, avec sa crypte sépulcrale engloutie dans l’ombre, avec ses rosaces lumineuses qui, parmi toutes ces terreurs chrétiennes, semblent une percée sur le paradis.

Au contraire, il n’y a pas de sensation franche et simple qui aboutisse à cette église ; c’est une combinaison, comme notre Louvre. On s’est dit : « Faisons la plus magnifique et la plus imposante décoration qu’il se pourra. » Bramante a pris les grandes voûtes du palais de Constantin, Michel-Ange le dôme du Panthéon, et de ces deux idées païennes, agrandies l’une par l’autre, ils ont tiré un temple chrétien. Ces voûtes, cette coupole, ces puissantes courbures, tout cet appareil est magnifique et grand. Et pourtant il n’y a en somme que deux architectures, la grecque et la gothique ; les autres sont des transformations, des déformations ou des amplifications.

Les gens qui ont fait Saint-Pierre étaient des païens qui avaient peur d’être damnés, rien de plus. Ce qu’il y a de sublime dans la religion, l’effusion tendre devant un Sauveur compatissant, l’effroi