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— Ils font une émeute. Les bersaglieri sont accueillis à coups de pierres et ripostent à coups de fusil ; depuis, tout est dans l’ordre, et, la manufacture commence à marcher, mais les sinécuristes affamés sont furieux. Les prêtres non plus ne sont pas contens, et n’ont pas sujet de l’être. Ils ont perdu de leur crédit, ils ne tiennent plus le haut du pavé. Il y a trois ans, il y avait tant de moines et d’ecclésiastiques à Naples, qu’une dame de la maison où l’on me donnait ces détails, à la fenêtre d’une rue fréquentée, en comptait cent par heure. Presque dans chaque famille on avait un fils ecclésiastique. Aujourd’hui il y en a moins. Après la révolution, ils se sont cachés ; maintenant on les voit sortir, se promener par deux ou trois. Ils croient que le gouvernement veut les affamer, qu’en prenant les biens des couvens il se déclare leur ennemi, et ils travaillent contre lui, surtout par les femmes. Cependant il a été doux, même indulgent ; il a laissé en place des gens de l’autre parti ; il a accordé seize mille pensions, surtout aux anciens militaires. Quelques-uns sont à Rome, et, quoique pensionnés, intriguent contre lui. On ne révoque point pour cela leur pension.

Quatorze mille hommes de garde nationale à Naples ! .. cela n’est guère pour cinq cent mille habitans. Ils prétendent qu’ils pourraient en avoir le double ; cela ne serait guère non plus. Ils répondent que la plèbe est ici en quantité énorme, qu’on ne peut encore lui confier des armes ; elle ne compte pas, il faut l’instruire ; d’ailleurs elle n’est pas à craindre, ni capable de faire des barricades. Il y a trois ans, en l’absence de toute autorité, la garde nationale a suffi largement pour maintenir l’ordre. Dans chaque municipalité, il en est de même ; les capitaines aiment mieux n’avoir qu’un nombre d’hommes médiocre ; ils n’enrôlent pas les demi-vagabonds ni ceux qui se sont compromis avec l’ancien gouvernement. Du reste, tous les paysans sont armés et marchent le fusil sur l’épaule ; c’est une vieille habitude, l’effet des vendette et du brigandage invétéré. Quand Victor-Emmanuel arriva, ils se pressèrent tous, ainsi équipés, sur son passage, preuve certaine qu’ils ne se sentaient point conquis ni opprimés. Un ambassadeur étranger qui était là disait : « l’Italie est faite. »

Je reviens sur cette garde nationale de quatorze mille hommes ; ce chiffre n’indique qu’une bourgeoisie gouvernante, et justifie jusqu’à un certain point les déclamations des adversaires, par exemple celles de ce marquis napolitain provincialiste et énergumène, qui à Paris, devant moi, il y a quinze jours, accusait les gardes nationaux d’être une coterie, les appelait traîtres, suppôts, des Piémontais, disant que tout le peuple, tous les nobles, sauf quelques déserteurs, subissent un joug et s’indignent tout bas. — On me répond en me faisant lire des gazettes cléricales, vendues à Naples et dans les rues,