Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/1034

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Adam, parce qu’Adam a péché. Par contre, le second Adam, le Christ, n’ayant pas péché, l’humanité dont il est la tête, qui s’unit à lui dans l’église, se présente à Dieu pure et sans reproche. Il ne s’est pas un moment arrêté devant l’idée qui, de nos jours, se présenterait immédiatement à notre esprit, que le mérite pas plus que la faute n’est transmissible. Il a une expression favorite pour indiquer ce rôle du Christ dans la rédemption : a il a récapitulé les choses, » dit-il, c’est-à-dire qu’il les a recommencées et concentrées de manière à leur donner un tour absolument autre que celui qu’elles avaient pris la première fois. C’est ainsi que, par sa conjonction avec le Verbe divin, la vieille substance adamite s’est trouvée régénérée, et par momens Irénée parle comme si nous étions destinés à devenir nous-mêmes des êtres divins, en vertu de notre incorporation spirituelle, si j’ose ainsi dire, dans la substance divine. — Tunc demum dii (alors enfin nous serons des dieux), — dit-il en parlant des hommes. Cela rappelle fortement, il faut l’avouer, l’éon Sauveur des gnostiques. Ce n’est pas là toutefois que se borne pour Irénée l’œuvre rédemptrice, et décidément le point de vue gnostique a sur son esprit une influence dont il ne se doute pas. Irénée a beau avoir un parallèle catholique à opposer aux rédemptions gnostiques, on n’en retrouve pas moins chez lui cette même propension à personnifier les abstractions, à dramatiser la psychologie, qui caractérise si visiblement ses adversaires. En fait, sa doctrine de la rédemption est mythologique. Partant toujours de l’idée qu’Adam a péché en qualité de représentant de l’humanité tout entière, il en conclut que, par sa faute, nous étions devenus les esclaves du diable, son bien, son mobilier, sa chose. Pour nous sauver, il fallait que le Christ nous arrachât à ce pouvoir. Qu’a-t-il fait ? Il a offert au diable sa vie et son âme en échange des nôtres, et l’a décidé à les accepter comme notre rançon en usant avec lui d’une douce persuasion, suadela, analogue à celle dont l’adversaire s’était servi pour nous perdre, mais avec des intentions et des conséquences tout opposées. C’est ainsi que nous avons échappé à la domination diabolique. Les choses devaient marcher de la sorte, car il n’eût pas été conforme à l’équité d’un Dieu qui doit être juste, même envers le diable, de lui ravir violemment ce qui était à lui.

Telle est l’idée d’Irénée, tel est aussi le premier germe d’un dogme ecclésiastique de la rédemption. Une rançon a été payée par Dieu au diable pour nous racheter ! Qu’on sourie, si l’on veut, de cette manière enfantine de représenter les choses. Si l’on cherche de l’esprit sous la lettre inacceptable, on en trouvera, et beaucoup ; mais avant que cette lettre blesse le sens chrétien, il se passera