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reuse qui ne leur permet ni les habitudes irrégulières ni les fréquentes absences. Les derniers seuls ont le travail intermittent et nomade, parce qu’ils se trouvent plus que les autres soumis aux vicissitudes de patrons souvent besogneux, qui les prennent et les congédient au hasard, et qui, ne pouvant leur promettre une occupation durable, n’ont sur eux qu’une très faible autorité. Dans les deux premières catégories, le chômage volontaire du lundi a complètement disparu : les grands établissemens ne tolèrent d’interruption de travail que le jour de paie, pour permettre à l’ouvrier de vaquer à ses affaires et de solder les engagemens qu’il a contractés. Le chômage n’existe plus que pour la troisième catégorie, et encore, ainsi que le fait remarquer l’enquête, cette tradition s’en va peu à peu. Les salaires plus élevés, au lieu d’encourager la paresse, stimulent le travail. Les ouvriers savent très bien calculer ce que leur coûte une journée perdue.

Il y a des exceptions, admettons même que celles-ci dépassent la proportion de 5 ou de 10 pour 100, chiffrée dans l’enquête. Il n’en demeure pas moins vrai que le niveau de la moralité, au sein de la population ouvrière de Paris, est plus élevé que dans les grandes villes manufacturières, et cela tient non-seulement à ce fait que l’instruction, tout en étant encore insuffisante, y est plus répandue, mais aussi au caractère spécial de l’industrie parisienne, qui est une industrie de goût et d’art. En même temps que l’ouvrier façonne l’œuvre, l’œuvre agit sur l’ouvrier. Et quand on songe à la somme énorme (plus de 3 milliards) qui représente la valeur des produits fabriqués, comment ne rendrait-on pas hommage à la puissance du travail et surtout aux qualités morales qui créent tant de richesse ? M. le préfet de la Seine, lorsqu’il s’est exprimé récemment en termes si peu bienveillans sur le compte des habitans de Paris, a manqué de justice. Quelques déplaisirs qu’ait pu lui causer la statistique électorale de ses administrés, il devait se consoler et se calmer en lisant la statistique industrielle dont la chambre de commerce lui a certainement fait hommage.

La population ouvrière de Paris est aujourd’hui dans un état d’agitation morale dont les détails échappent aux constatations de la statistique, et dont il serait même difficile de définir exactement le caractère, mais qui doit, par ses symptômes, appeler l’attention. Qu’elle sollicite l’amélioration de son sort au moyen d’une augmentation de salaire, comme nous l’avons vu pour plusieurs corps d’état, il n’y a rien là qui ne soit naturel et légitime, pourvu qu’elle contienne ses demandes en-deçà des limites infranchissables que déterminent les lois de la production. Ses aspirations vont en même temps plus haut. Les ouvriers réclament la faculté de s’associer