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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/1060

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concentrer sur les questions religieuses. Il n’y a point de pires luttes politiques que celles qui ont les questions religieuses pour objet. Là, des deux côtés, on se porte à des violences qui sont bien regrettables, lors même que le combat n’est engagé que dans la sphère des idées, car on est condamné à y blesser à chaque instant les plus respectables convictions. Le vice de ces luttes politico-religieuses est surtout de dénaturer la politique et de l’entraîner à des déviations funestes. On n’y sait point garder une suffisante mesure : on quitte à chaque instant le terrain vrai de la politique ; les doctrines philosophiques s’attaquent aux dogmes religieux ; la religion anathématise la philosophie ; les passions irréligieuses et les haines religieuses se provoquent réciproquement et s’excitent au fanatisme. Des sociétés ravagées par ces odieuses controverses ont beau paraître calmes à la surface, elles sont bientôt en proie à un désordre moral dont les funestes effets peuvent éclater à l’improviste. Des deux parts, le mouvement est dominé par les violens, et quand les violens prennent la tête, le progrès est compromis, et l’on peut redouter pour les meilleures causes les plus cruelles réactions.

Nous ne sommes donc point surpris de voir beaucoup de bons esprits affligés de la confusion qui s’établit en ce moment entre les luttes religieuses et les controverses politiques. Cette confusion de la religion et de la politique est un danger auquel l’esprit français s’est toujours laissé prendre aisément. Contenus par la parcimonie avec laquelle les libertés politiques nous sont mesurées, nous sommes aujourd’hui plus que jamais exposés à nous échapper dans le domaine religieux pour y chercher l’action militante que la politique nous refuse. Un pays voisin, la Belgique, semblable à nous par tant de côtés, différent de nous par tant d’autres, quoique bien plus avancé que nous en éducation politique, s’est lancé en plein sur l’écueil où nous commençons à toucher. Les partis y ont pris l’habitude de se définir en classifications religieuses, en parti catholique et en parti libéral. Des causes qui ne devraient se rencontrer, ce semble, que dans le domaine de la conscience s’y sont transformées en partis ardens et de plus en plus excessifs. Cette confusion dangereuse vient d’être signalée et déplorée dans un écrit remarquable par le chef du parti catholique belge, par l’honorable M. Ad. Dechamps. L’homme d’état belge a vu le mal avec une grande sagacité, et il le décrit avec une modération vraiment libérale. Il soutient que l’existence d’un parti catholique, comme l’existence d’un parti libéral rationaliste, est un non-sens en présence de la constitution belge. Il voudrait renoncer pour son parti à une dénomination qui compromet de la façon la plus grave des idées et des intérêts distincts de ceux qui doivent en réalité s’agiter dans le domaine purement politique. On doit tenir grand compte à M. Dechamps de l’initiative qu’il prend ainsi pour rapprocher sur un terrain commun des intérêts conservateurs ou libéraux qui ne sont point nécessairement solidaires d’une foi religieuse ou d’une doctrine philosophique déterminée : M. Dechamps se préoccupe aussi de la nécessité