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minie Lacerteux, puisse se rattacher avantageusement au genre ; les autres, Sœur Philomène et Renée Mauperin, ne se rattachent à cette branche de littérature que par un mauvais style malheureusement fort obstiné et par un certain goût de peinture réaliste qui arrive assez souvent jusqu’à l’effet d’une photographie mal réussie. Quant au sujet de ces deux romans, qui ont précédé celui que les auteurs considèrent, à ce qu’il paraît, comme leur coup de maître, il est évidemment mieux choisi ; quant aux caractères, ils sont certainement mieux observés et mieux saisis ; il y aurait même parfois de l’intérêt, si ce n’étaient les détails où abondent et surabondent les péchés d’imagination, sans parler des péchés contre la langue, qui ne se comptent pas.

MM. Edmond et Jules de Goncourt ne sont pas d’ailleurs tout à fait les premiers venus. Ils inspireraient facilement cet intérêt qu’éveillent deux frères jumeaux en littérature, deux esprits liés plus que par les affinités intellectuelles, qui mettent fraternellement en commun leurs études, leurs pensées, tous leurs efforts, et qui, après avoir eu, par le privilége de la nature, un même passé, veulent se faire un même avenir. Quelle est la part de l’un, quelle est la part de l’autre ? Il serait difficile de le dire. Ils ont aspiré ensemble à créer ou à perfectionner un genre qu’on pourrait appeler l’histoire anecdotique des mœurs. Ils ont écrit des livres sur la société française pendant le xviiie siècle, pendant la révolution, sous le directoire. Ils ont écrit aussi une Histoire de Marie-Antoinette qui est le meilleur de leurs ouvrages, et qui aurait plus d’intérêt, s’il ne s’y mêlait incessamment un papillotage par trop fatigant et une préoccupation trop visible d’entrer dans tous les détails. La vérité est que dans leurs livres MM. Edmond et Jules de Goncourt étudient moins la société française que la femme. Pour la femme, ils la mettent en scène dans toutes les attitudes ; ils l’habillent, la déshabillent, lui posent des mouches, la décollettent par en haut et par en bas, selon l’époque, et comme une fois qu’on est entré dans cette voie on risque de n’y pas entrer à demi, les auteurs dans cette description abusent visiblement de leur érudition. De là vient qu’avec des connaissances réelles, faute de rester maîtres de leur sujet, de se rappeler qu’ils parlent de la société française, MM. de Goncourt s’exposent à tomber dans ce qui pourrait bien s’appeler une littérature de chiffons. Je ne nie pas que la mode ne soit une grande chose, qu’elle n’ait une souveraine importance à toutes les époques, et qu’on ne puisse refaire l’histoire d’une société avec les variations de cette capricieuse reine, avec la forme d’un bavolet ou d’une guimpe ; mais enfin il ne faudrait pas en abuser et trop promener l’histoire dans les boudoirs. Ce que je veux dire, c’est que MM. Edmond et Jules de Goncourt se laissent trop obséder par cette préoccupation de mettre partout les femmes et l’amour, — l’amour tel qu’on le comprenait et le pratiquait au xviii" siècle et sous le directoire. Rien n’est plus difficile que de s’arracher à ces influences ; l’esprit en reste imprégné, et même quand il se tourne vers d’autres époques, quand