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jamais sa somptueuse demeure de Grosvenor-Crescent ou sa mansion de Grove-Park-near-Watford pour le continent sans avoir quelque grave mission à remplir. L’Angleterre oubliait donc tout à coup ses vieilles prédilections pour la Prusse protestante, les tendres liens qui existaient entre la cour de Windsor et celle de Potsdam, pour applaudir à une tentative qui causait un si vif déplaisir au roi Guillaume Ier ! Elle, qui ne cessait de détourner l’empereur François-Joseph de toute entreprise pour la restauration d’une Pologne indépendante, l’encourageait maintenant soudain dans l’œuvre, pour le coup bien plus « aventureuse » encore, de l’unification de l’Allemagne ! Et on citait dans les hautes sphères de Paris les paroles par lesquelles lord Clarendon aurait salué l’empereur d’Autriche à une entrevue à Francfort : sa seigneurie aurait félicité sa majesté apostolique d’une initiative qui, « en rendant l’Allemagne plus forte, procurerait au monde la plus sûre des garanties contre l’ambition française… » Qu’est-ce à dire ? se demandait-on devant cette agitation à Paris. L’Autriche n’aurait-elle annoncé si haut son entente avec la France dans la question polonaise que pour retenir cette dernière puissance ? N’aurait-elle voulu qu’exploiter à son profit les souffrances des Polonais pour supplanter la Prusse dans l’opinion libérale de l’Allemagne ? Il était impossible d’admettre que c’était pour la conservation de la Galicie que le gouvernement de Vienne demandait aux princes germaniques d’adopter le paragraphe 5 de l’article 8 de son projet : c’était donc de Venise qu’il s’agissait, et certaine communication confidentielle de M. le duc de Gramont n’aurait donc eu d’autre effet que de faire rechercher avidement des forces auxiliaires contre la France !…

Si naturel que fût le sentiment de surprise dans une telle occurrence, si justifiées même à certains égards que fussent les appréhensions, y avait-il cependant de quoi s’alarmer outre mesure, de quoi faire perdre de vue tout à coup la question principale ? Quelque abrupte et imprévue que pût paraître l’initiative de Francfort, la pensée qui l’avait inspirée n’était pourtant pas depuis longtemps un mystère pour la France : l’hégémonie de l’Autriche dans la confédération germanique a été un des points du programme que le comte Rechberg avait présenté dès le mois de mars au cabinet des Tuileries, une des conditions essentielles d’un concours actif dans une certaine éventualité. Cette prétention avait été alors pleinement admise par le gouvernement français, et n’avait pas en effet de quoi l’effaroucher. Certes la niaiserie seule en matière politique peut prétendre que la France devrait favoriser avec joie ou même simplement tolérer avec une humeur béate la constitution de l’Allemagne en un état centralisé et uni comme