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de la nôtre. Une cité entière choisissait pour la lutte et la course les meilleurs jeunes gens dans les meilleures familles ; elle assistait aux jeux, hommes et femmes étaient là ; on comparait les dos, les jambes, les poitrines, tous les muscles en mouvement dans les cent mille aspects de l’effort. Un spectateur ordinaire était connaisseur, comme aujourd’hui un cavalier juge les chevaux dans un derby ou dans un carrousel. — Au retour, la cité accueillait le vainqueur par une cérémonie publique ; parfois on le choisissait pour général ; son nom était parmi les fastes de la ville, sa statue prenait rang parmi celles des héros protecteurs ; le vainqueur de la course donnait son nom à l’olympiade. — Quand les dix mille arrivent en vue de la Mer-Noire et se sentent sauvés, leur première idée est de célébrer des jeux ; ils ont échappé aux barbares, voilà enfin la vraie vie grecque qui recommence. « Cette colline, dit Dracontios, est un terrain excellent pour courir où l’on voudra. — Mais comment pourra-t-on lutter sur un sol si dur et si boisé ? — Tant pis pour qui tombera ! — Pour la course du grand stade, il y eut plus de soixante Crétois ; les autres se présentèrent pour la lutte, le pugilat et le pancrace. Et le spectacle fut beau, car il y eut beaucoup d’athlètes, et comme leurs compagnons regardaient, ils firent de grands efforts. »

Un siècle plus tard, au temps d’Aristote, de Ménandre et de Déosthène, quand la culture d’esprit est complète, quand la philosophie et la comédie touchent à leur achèvement et presque à leur décadence, Alexandre débarquant dans la Troade se met nu avec ses compagnons pour honorer par des courses le tombeau d’Achille. Imaginez Napoléon faisant la même chose à sa première campagne d’Italie. L’action correspondante fut pour lui, je suppose, de boutonner son uniforme et d’assister grave et raide au Te Deum à Milan.

On peut voir la perfection de cette éducation corporelle dans le jeune athlète qui lance le disque, dans la courbure de son corps tout penché d’un côté, dans le calcul de tous ses membres qui se tendent ou se ploient pour rassembler le plus de force possible sur un même point. Un mot de Platon est bien frappant à ce sujet ; il divise l’éducation en deux branches égales, la gymnastique et la musique. Par gymnastique, il entend tout ce qui touche à la formation et à l’exercice du corps nu. Par musique, il entend tout ce qui est compris dans le chant, c’est-à-dire, outre la musique, les paroles et les idées, des hymnes et des poèmes qui enseignent la religion, la justice et l’histoire des héros. Quelle percée et quelle ouverture sur la jeunesse antique ! Quel contraste si l’on met en regard notre éducation de savantasses et de culs-de-jatte !

De temps en temps, on déterre des inscriptions qui mettent en