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ou des entreprises, étaient obligés de vendre, et comme leur nombre était très grand, il y avait un immense excès dans l’offre. Tout le monde, se présentait au marché comme vendeur, personne comme acheteur. Il en résulta un avilissement extrême des prix. Les négocians obligés de réaliser ne pouvaient le faire qu’à 30 ou 40 pour 100 de perte. L’argent avait disparu du marché, ceux qui en possédaient ne voulant s’en séparer à aucun prix, ni pour le prêter, ni pour acheter. L’inquiétude et la défiance dégénérèrent en panique : l’on se rua sur les banques ; il y eut ce que les Anglais appellent énergiquement un run, un assaut général. Comme elles sont tenues de faire face à des engagemens à vue, ce sont elles qui succombent d’abord. Dans le seul mois de décembre, soixante-dix suspendirent leurs paiemens. La chute du London Bank, Pôle et Co, (17 décembre) entraîna celle d’un grand nombre de banques provinciales avec qui elle avait des relations. Les détaillans, les petits fermiers, qui avaient reçu des notes d’une livre, se trouvaient à leur tour dans l’impossibilité de payer leurs propriétaires. C’était un enchaînement de pertes retombant des uns suivies autres et répandant dans toutes les classes de la société la gêne, la ruine et le désespoir. Un écrivain de talent, économiste distingué, miss Martineau, a peint en quelques traits la physionomie du pays pendant ces terribles momens. « Sur la place publique, dans les villages, dit-elle, la foule se rassemblait atterrée, et l’on entendait ce cri sinistre : la banque du district a suspendu ses paiemens ! Ici on voyait les hommes roulant dans leurs mains crispées un billet de banque désormais inutile, là des femmes pleurant et gémissant. Les échanges étaient complètement suspendus ; on ne pouvait plus ni vendre ni acheter. L’argent s’était écoulé hors du pays ou demeurait caché au fond des coffres-forts, et on considérait tout billet avec une telle terreur qu’on eût cru qu’il allait brûler les doigts de celui qui l’aurait accepté. Plutôt que de recevoir du papier, les cultivateurs fuyaient les marchés. La confiance et la gaîté avaient disparu. Plus de luxe, plus de fêtes, plus de brillantes toilettes, plus d’équipages ; chacun se réduisait à ce qui est strictement nécessaire pour vivre. On assiégeait les bureaux de poste pour avoir des nouvelles, et chaque jour apportait son contingent de faillites. L’imagination agrandissant encore le mal, on se croyait à la veille d’une catastrophe générale où toutes les fortunes auraient disparu, englouties comme dans un abîme. » Ce tableau ne paraîtra pas exagéré lorsqu’on songe que la crise atteignit toutes les classes, les négocians par l’avilissement de tous les prix, — les spéculateurs, et qui n’avait pas spéculé ? par la baisse de toutes les valeurs et par la ruine de tant d’entreprises mal conçues, — les industriels par la fermeture des débouchés, les campagnes par la suspension des country-banks. Les ouvriers sans