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lequel, avant l’établissement des sociétés régulières, chacun se défend, se venge et se satisfait. En France, en Espagne, en Angleterre, les bêtes féroces de la féodalité trouvaient dans l’honneur féodal, sinon une bride, du moins une borne ; le duel remplaçait les guerres privées : on se tuait le plus ordinairement selon les règles, devant témoins, en un lieu choisi. Ici l’instinct du meurtre se lâchait dans les rues. On ne peut pas énumérer toutes les violences racontées par Cellini, non pas seulement les siennes, mais celles des autres. Un évêque à qui il ne voulait pas livrer un vase d’orfèvrerie envoie des gens pour saccager sa maison ; lui, l’arquebuse à la main, se barricade. — Un autre orfèvre nommé Piloto est un chef de bande. — « Pendant son séjour à Rome, le Rosso… ayant décrié les ouvrages de Raphaël, les élèves de cet illustre maître voulaient absolument le tuer. » — Vasari, couchant avec l’apprenti Manno, « lui écorcha une jambe avec les mains, croyant se gratter lui-même, car jamais il ne se taillait les ongles ; » sur quoi, « Manno était décidé à le tuer. » — Le frère de Cellnii, apprenant que son élève Bertino Aldobrandi venait d’être tué, « jeta un si grand cri de rage qu’on eût pu l’entendre à dix milles de là ; puis il dit à Giovanni : Au moins saurais-tu m’indiquer celui qui me l’a tué ? — Giovanni lui répondit que oui, et que c’était un de ceux qui étaient armés d’un espadon et qu’il avait une plume bleue sur sa barrette. Mon pauvre frère, s’étant avancé et ayant reconnu le meurtrier à ce signalement, se lança au milieu du guet avec sa promptitude et son intrépidité merveilleuses ; puis, sans qu’on pût l’arrêter, il allongea une botte dans le ventre de son homme, le traversa de part en part et le poussa en terre avec la garde de son épée. » Presque aussitôt il est lui-même jeté bas d’un coup d’arquebuse, et l’on voit alors se déchaîner toute la furie des vendette. Cellini ne peut plus ni manger ni dormir, et la tempête intérieure est si forte qu’il croit qu’il mourra, s’il n’y cède… « Je me disposai un soir à sortir de ce tourment, sans tenir compte de ce qu’une pareille entreprise avait peu de louable… Je m’approchai adroitement du meurtrier avec un grand poignard semblable à un couteau de chasse. J’espérais d’un revers lui abattre la tête ; mais il se retourna si vivement que mon arme l’atteignit seulement à la pointe de l’épaule gauche et lui fracassa l’os. Il se leva, laissa tomber son épée, et, troublé par la douleur, se mit à courir. Je le poursuivis, le rejoignis en quatre pas, et levai mon poignard au-dessus de sa tête, qu’il inclinait très bas, de sorte que mon arme s’engagea entre l’os du cou et la nuque si profondément que malgré tous mes efforts je ne pus la retirer. » — Un peu plus tard, et toujours "sur la voie publique, Cellini tue Benedetto, puis Pompeio, qui l’avaient offensé. Le cardinal Médicis et le cardinal