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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/326

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me coupèrent les ailes ; toi, tu me relevas, et tu me mis sur un vert sapin ! »

La nature inanimée elle-même n’est pas plus indifférente que les animaux à la destinée des Serbes. La foudre, les éclairs, les vents, les montagnes, jouent leur rôle dans le grand drame dont l’homme est le principal acteur. Une vierge s’adresse à l’étoile du matin, lui donne le doux nom de « sœur, » et lui demande des nouvelles de son fiancé, le duc Stéphân. Un pauvre jeune homme « marié à une veuve non pareille en âge » adresse aux roses cette charmante apostrophe : t « fleurissez, roses, et ne me regardez plus ! » Les alouettes félicitent les amans heureux en gazouillant « d’une douce voix : quoi de plus beau que la maîtresse, si ce n’est le jeune maître ? » mais les amoureux ne doivent confier leur secret, s’ils y tiennent, ni à la prairie, ni au bateau, ni aux eaux, car la prairie le raconterait au blanc troupeau, le pasteur au voyageur, le voyageur au batelier, le batelier au bateau de bois de noyer, le bateau aux froides ondes, — et les ondes à la mère de la jeune fille.

La poésie nationale des Serbes, qui a conservé avec tant de soin des idées plus ou moins conformes au culte de la nature considérée comme un tout animé et vivant, n’a pas montré le même empressement à chanter des croyances aujourd’hui fortement enracinées, mais favorables au système dualiste. La magie, qui n’avait pas moins d’importance chez les anciens que chez les hommes du moyen âge, ainsi que le prouve la Magicienne de Théocrite, n’a point dans la poésie serbe la place qu’elle occupe dans l’opinion de la multitude. On en trouve cependant assez de traces pour constater l’importance que les Serbes y attachent. Un guerrier reproche à sa femme de l’avoir livré aux Turcs : « Mon seigneur, répond-elle, les Turcs m’avaient jeté un sortilège. » Si la magie est assez puissante pour décider la femme d’un haïdouk à suivre l’exemple de la perfide Dalila, elle peut aussi imposer l’amour aux cœurs les plus rebelles. Tandis qu’au commencement de la nuit les héros se reposent et boivent un vin doré, et que les vierges reviennent de la fontaine, le timide Stoïan aperçoit parmi elles la sœur d’Iovan, dont il devient soudainement amoureux. Celle-ci ayant repoussé ses avances, au lieu d’essayer de s’en faire aimer, il court chez lui pour « l’ensorceler. » Il prend quatre billets. Sur le premier, il trace un charme et le jette dans le feu en disant : « Ne brûle point, ô charme, ni toi, ô billet, mais seulement la raison de la sœur d’Iovan ! » Il en écrit un second et le jette dans l’eau : « Eau, n’entraîne point le charme ni le billet, mais seulement la raison de la sœur d’Iovan ! » Il en écrit un troisième et le jette aux vents : « N’enlevez point, ô vents, le charme ni le billet, mais seulement la raison de la sœur