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martre sur ses yeux, et se couche pour s’endormir du sommeil éternel.

Marko reste toute une semaine au bord de la source, chaque passant faisant un long détour pour ne pas éveiller l’irascible héros ; mais « toujours du bonheur le malheur est suivi, — comme le malheur suit toujours le bonheur. » Une bonne fortune amène l’igoumène (supérieur de couvent) Vasso, du monastère de Vilindar, avec son diacre sur la montagne. Quand l’igoumène aperçoit Marko, il fait signe de la main au diacre : « Doucement, mon fils, gardons-nous de l’éveiller ! — car, troublé dans son sommeil, il est d’humeur difficile, — et il pourrait nous tuer tous les deux ! » La lecture de la lettre ayant appris aux moines que le héros n’est plus, Vasso ne peut retenir ses larmes. Il charge sur son cheval le corps sans vie, le porte sur le rivage de la mer, s’embarque pour le mont Athos, et l’enterre dans la blanche église de Vilindar, sans élever aucun monument, afin que la vengeance des ennemis de Marko ne puisse le poursuivre dans la tombe.

D’autres traditions plus conformes à la vérité historique font périr le kralievitch à Rovina. Les unes disent que le terrible domnu de Valachie Mircéa Ier Bassaraba l’aurait tué lui-même en lui lançant une flèche d’or à la bouche, d’autres que son cheval s’étant enfonce dans un marais, — la pesma semble faire allusion à cette circonstance en parlant au début de la défaillance de Charatz, — il périt avec son fameux coursier. Pour les gens plus crédules, le héros n’est pas mort. Il erre dans les nuages des Karpathes, ce paradis païen des guerriers serbes, ou, comme le Barberousse et le Guillaume Tell des légendes germaniques, il dort dans une caverne, en attendant le jour marqué par les décrets du ciel. Quelques-uns lui donnent Charatz pour compagnon, et disent que lorsque le fidèle coursier aura fini de manger la mousse de la caverne, le héros reparaîtra dans le monde. Un Serbe a raconté à M. Dozon que le peuple de Prilip croit que chaque année, à la Saint-George, il entre dans une église monté sur Charatz, afin d’y célébrer sa slava.

Le despote Etienne IX Lazarévitch, moins turbulent que Marko, prolongea sa carrière jusqu’en 1427. Comme il n’avait pas d’enfans, il eut pour successeur le fils du traître Vouk, George Ier Brankovitch, qui ne se montra pas dans sa conduite plus loyal que son père, puisque, défendu une première fois par les Hongrois et par le Roumain Hounyadi dans sa lutte contre les Ottomans, il ne rougit pas d’abandonner le roi des Magyars à Varna (1444), et après la seconde bataille de Kossovo de retenir prisonnier à Kladovo le Roumain fugitif. Jean Hounyadi, sous le nom de Jean de Sibigne, joue un certain rôle dans les poésies et les légendes de la Serbie. On