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parmi les hommes qui ont su élever leur âme et leur caractère à la hauteur de leur génie. En passant par sa belle intelligence, les mythes païens se dépouillent de leurs impuretés. Proclus est Grec, Grec de Constantinople, né à la fin du bas-empire ; quoiqu’il ait habité quelque temps Alexandrie, la plus grande partie de son existence s’est écoulée dans cette Athènes qui, savante encore, était plus corrompue que jamais. Il était riche, il était beau, d’une beauté si pure et si exquise que les peintres ne pouvaient saisir sa ressemblance, et que ses nombreux portraits, qui circulaient dans la ville, étaient tous infiniment au-dessous du modèle. Enfin sa constitution robuste et saine ne connut la maladie que deux ou trois fois pendant une vie de soixante-quinze années. Il demeura néanmoins tempérant, sobre, dur envers son corps, livré à des travaux prodigieux et capable de faire, à son école d’Athènes, jusqu’à cinq leçons par jour. Plusieurs fois on lui offrit de brillantes alliances : il ne se maria point ; mais ce ne fut point par égoïsme ni pour échapper aux soucis de la famille, selon le conseil d’Épicure, puisque, comme Plotin, il se fit le guide, le tuteur même des enfans de ses amis et prit en main la gestion de leurs biens et de leurs intérêts. Une phrase de Marinus, une seule, laisse douter que Proclus ait été invariablement chaste. Il combattit du moins avec courage les ardeurs de son tempérament. Dès sa jeunesse, il s’abstenait de manger de la chair des animaux. Plutarque, fils de Nestorius, et l’un de ses maîtres, l’ayant blâmé d’exténuer ses forces par un tel régime, Proclus répondit simplement : « Que mon corps aille ainsi jusqu’où je désire, et qu’ensuite, s’il veut, il périsse ! » Assurément l’Égyptien Plotin, qui était honteux d’avoir un corps, qui ne parlait jamais de sa patrie ni de sa famille, qui ne permit jamais qu’on fît son portrait ni son buste, parce que le corps, cette vaine image où la nature nous a enfermés, ne vaut pas la peine d’être regardé, Plotin fut mystique à un plus haut degré que le Byzantin Proclus ; mais celui-ci le fut assez pour suivre, quelquefois même jusqu’à l’excès, ces admirables exemples de sévérité morale envers soi-même qui étaient aussi dans l’héritage de Socrate et de Platon.

On se tromperait au surplus, si l’on croyait que les néoplatoniciens d’Alexandrie et d’Athènes soient allés, dans la pratique, jusqu’aux dernières conséquences de leur mysticisme. Le but de la vie humaine était à leurs yeux l’unification, l’identification complète avec l’unité absolue par cette extase stupéfiante où l’âme devait perdre jusqu’au sentiment de sa personnalité ; mais nul n’arrivait à ce terme de la perfection et du bonheur qu’après avoir parcouru l’échelle ascendante des vertus inférieures, au nombre desquelles étaient les vertus politiques. Sans ambition, mais pleins