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pour voir l’extrême importance qu’on attache partout à l’abondance du numéraire. Les journaux américains et anglais, même des publications de pur agrément comme l’Illustrated London News, renferment une rubrique spéciale intitulée money-market, et la première chose qu’on y signale, c’est la quantité d’or arrivé de la Californie et de l’Australie par tel navire, ou le chiffre des métaux précieux enlevés par l’exportation. Les rédacteurs de ces bulletins, même ceux de la feuille qui fait autorité en cette matière, l’Economist, semblent tous sans exception pénétrés des erreurs de l’école mercantile. On dirait qu’ils ont fait leur éducation économique dans les livres d’il y a deux siècles. Les galions californiens sont-ils arrivés, les métaphores joyeuses naissent en foule sous leur plume. Ils annoncent que l’intérêt baisse, que l’escompte est facile, que toutes les valeurs trouvent des acheteurs, que les prix montent. Le télégraphe signale-t-il encore de nouveaux arrivages de métaux précieux, le monde des affaires est plein d’ardeur, plein de confiance. L’intérêt tombe à 3, à 2 1/2, à 2. Aussitôt toutes les entreprises existantes trouvent des facilités pour activer leurs travaux, et les nouvelles voient accourir les souscripteurs en foule. Que s’est-il passé ? Les capitaux, — c’est-à-dire, d’après les économistes, les marchandises, les denrées, — se sont-ils subitement multipliés ? En aucune façon. Un seul fait s’est produit, celui que constate si volontiers le public : l’argent est abondant. Mais tout à coup le change devient contraire ; il faut envoyer du métal vers l’extrême Orient. Aussitôt une certaine inquiétude s’empare des esprits. Les bulletins financiers prennent un ton lugubre, l’aspect du marché s’assombrit ; à chaque navire qui part emportant le précieux agent de la circulation, on entend un cri d’alarme. L’intérêt monte, l’escompte se restreint, les prix s’affaissent ; on trouve difficilement à vendre, plus difficilement encore à emprunter. Il y a embarras, gêne, et si l’écoulement des métaux précieux continue et attaque fortement l’encaisse des banques, il y a crise. D’où vient ce changement si grave ? Les capitaux, marchandises et denrées, sont-ils donc plus rares ? Non, c’est seulement le numéraire qui fait défaut.

Il est trop évident que des fluctuations brusques et toujours en rapport avec l’exportation ou l’importation de l’argent, comme on en voit de si fréquentes depuis quelques années, ne peuvent être attribuées à la rareté ou à l’abondance des capitaux entendus au sens adopté par les économistes. D’ailleurs l’histoire des crises confirme